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ne fait pas bon rester longtemps sous l’ardent soleil. On voudrait chercher l’ombrage d’une de ces maisons fraîches dont la petite cour intérieure brille à travers une embrasure noire toute tapissée de verdure et de fleurs, Quelques-unes de ces habitations rustiques rappellent la disposition des maisons romaines, dont elles ont l’atrium, le toit de tuiles écrasé sur un unique étage, le xyste entouré d’une espèce de portique et orné de verdure, à défaut des fontaines, des bassins et des statues de marbre de l’antiquité. Je me figure que les rues de Pompéi ressemblaient beaucoup à celles des villes tropicales. Avec les fresques, les marbres et tout le luxe de l’Italie impériale, les maisons des anciens, toujours ouvertes, gardées seulement par le chien de pierre et l’esclave enchaîna, devaient offrir aux regards ; du passant, le même aspect frais et gai que ces petits réduits verdoyans, miniatures de jardins enchâssées au milieu de l’appartement comme les serres de nos maisons modernes. — Rien de tout cela à bord du Comanditario, où nous rentrâmes comme dans une prison ; mais la soirée fut embellie, par un clair de lune superbe dont les reflets jouaient sur les vagues en nappes ruisselantes et mobiles comme des flots de vif-argent.

Le lendemain, je me réveillai en mer, au moment même où nous doublions le cap Cruz. Il soufflait une brise du sud qui irritait un peu les vagues et qui causait à bord une vraie tempête. Je regardai avec désespoir se dérouler devant nous la longue ligne des falaises brunes. Nous faisions de grands efforts, mais hélas ! nous n’avancions guère : pendant deux heures au moins, le petit phare qui marque l’extrémité de l’île resta visible au-dessus de l’horizon. En face de nous, la côte formait à perte de vue une muraille droite et sombre. Je rentrai dans ma niche et m’y enfermai obstinément. Vers le soir seulement, la curiosité l’emporta, et je m’aventurai encore une fois sur le pont : le spectacle était tout nouveau. A une lieue environ, de grandes montagnes hardies sortaient d’une mer bleue, profonde et houleuse ; leurs dos renflés et tordus ressemblaient aux épaules des sublimes géans de Michel-Ange, et paraissaient attester l’effort monstrueux qu’ils avaient fait autrefois pour déchirer leurs attaches et surgir fièrement au-dessus des vagues. On eût dit les corps des Titans prosternés, mais conservant encore dans leur défaite leurs muscles gonflés, leurs bras raidis et leurs fronts, farouches. Des pans de forêts pendaient çà et là sur leurs torses renversés, comme déchirés par des luttes journalières contre les ouragans du ciel, et ne voilant, qu’à demi leur nudité héroïque. Du côté de l’est, une nuée pluvieuse enveloppait les cimes lointaines, et traînait dans la mer comme une longue draperie balayée parle vent. Derrière nous, le soleil couchant, secouant sa crinière