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soixante-cinq ans qui a blanchi dans l’étude des astres, et dont les traits énergiques annoncent l’incessante activité d’un ferme esprit soutenant depuis plus d’un quart de siècle l’honneur de l’observatoire de Greenwich. Sur son bureau s’entassent des papiers chargés de calculs, une masse de lettres, mille affaires. Une grande armoire de fer adossée à toute la longueur du mur latéral et pourvue à l’intérieur de rayons en ardoise renferme des documens précieux qui serviront sans doute un jour pour écrire l’histoire de la science au XIXe siècle. Là, par exemple, figurent des lettres et des pièces authentiques destinées à modifier certaines opinions reçues sur la découverte de la planète Neptune. On trouve aussi dans cette armoire la trace d’anciennes erreurs et de chimères qu’on s’étonne de voir reparaître dans un temps éclairé.

Qui croirait que plusieurs Anglais confondent encore l’astronomie avec l’astrologie judiciaire ? M. Airy conserve dans un dossier très curieux des lettres qui lui ont été adressées par différentes personnes de toutes les classes et lui demandant son prix (what are your terms) pour tirer un horoscope. Tantôt c’est un jeune homme qui veut qu’on lui indique « celle qui sera sa femme ; » d’autres fois c’est une lady qui, à la veille de s’embarquer dans la grande affaire de la vie, désire consulter son étoile. Des timbres-poste accompagnent de temps en temps ces missives dans lesquelles celui ou celle qui consulte l’oracle promet d’indiquer fidèlement le jour et l’heure de sa naissance. Le fait est que beaucoup ne comprennent guère qu’on contemple jour et nuit la voûte du ciel sans y poursuivre le secret des destinées humaines. Il y a quelques années, une jeune femme habillée avec goût se présenta elle-même à la porte de l’observatoire : elle s’intéressait à l’un de ses proches qui naviguait dans l’Océan-Pacifique et dont on n’avait reçu aucune nouvelle depuis plusieurs années. Après quelques instans de conversation avec l’un des assistans, elle se retira tout en pleurs parce que les astres n’étaient point à même de lui dire si l’objet de ses affections était encore vivant[1].

Quand et comment fut fondé l’observatoire royal de Greenwich ? Un Français nommé le sieur de Saint-Pierre et protégé par la duchesse de Portsmouth, alors en faveur à la cour, proposa en 1674

  1. Ceci rappelle naturellement un épisode de la vie de Frederick William Herschel. Durant un été pluvieux, un fermier du voisinage vint lui demander son avis, ou plutôt l’avis des astres, sur le jour qui conviendrait le mieux pour faire les foins sans crainte d’une averse. Le grand astronome le conduisit à la fenêtre, et lui montrant du doigt une prairie dont l’herbe avait été fauchée et pourrissait dans l’eau : « Vous voyez ce champ, lui dit-il, il est à moi. Cela ne suffit-il point pour vous montrer qu’en fait de pluie et de beau temps je ne suis pas plus sorcier qu’aucun de mes voisins ? »