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Ceci me fut refusé. Je me mis à chanter, puis à parcourir le cachot de long en large, en comptant mes pas. Trois cents tours me fatiguèrent un peu, et je comptais sur cette fatigue pour m’endormir sur le lit de camp… Ah ! que les journées étaient longues, et comme la tête travaillé quand elle travaille seule ! Miss Baly venait bien trois fois par jour ; le chapelain, le docteur, m’accordaient çà et là quelques minutes… Sans cela, je vous le dis franchement, je serais devenue folle… Croiriez-vous bien que je maudissais intérieurement miss Baly, et que la plupart du temps, la tête dans mes mains, je rêvais aux moyens de lui tendre quelque horrible piège ? Mais les heures n’en passaient guère plus vite, et je pleurais, je criais, je frappais du talon les planches sur lesquelles j’étais couchée, je tâchais d’épuiser mes forces pour m’endormir enfin de lassitude et goûter le repos de la brute… Je vous disais tout à l’heure que j’avais failli devenir folle. Tout bien vu, je crois que par momens je l’étais. A force de chanter, de m’agiter, j’éteignais en moi toute pensée, toute notion de temps, et je me dérobais aux réflexions dont le poids m’écrasait aussitôt que j’étais assise et tranquille…

— Comment avez-vous pu vous exposer une seconde fois à Un supplice pareil ? lui demandai-je avec un étonnement sincère…

— Ah ! voilà, répondit-elle, voilà ce que vous autres gens raisonnables vous ne pouvez venir à bout de comprendre. Vous savez qu’on tient fermée la porte des femmes qui ont été en punition : elles ne peuvent plus venir à la grillé voir ce qui se passe autour d’elles. Ceci m’irritait. D’ailleurs on me méprisait encore plus qu’auparavant. J’avais une méchante voisine qui s’amusait à contrefaire mon accent écossais. Susan Marsh ne s’était pas donné la peine de me faire passer un mot de consolation. Enfin, que voulez-vous ? je détestais de plus en plus miss Baly, sans compter que l’habitude était prise, et qu’en somme on gagne toujours quelque chose à passer pour méchante…

Malgré l’étonnement qu’elle vous causera, sachez que cette dernière observation n’est pas dénuée de toute justesse. Une mauvaise tête, un brise-raison qui s’emporte à tort et à travers, que rien n’intimide ou ne dégoûte, devient après quelques épreuves tout autre chose qu’un souffre-douleur. On l’entoure d’une sorte de considération ; ses manies, ses croyances obtiennent certains égards. On l’étudie avec une curiosité respectueuse ; on évite de la pousser à bout, on ferme les yeux sur bien des peccadilles que ses gros péchés rejettent dans l’ombré. La surveillante, lasse de sévérité, se relâche et s’adoucit. Elle y regarde à plusieurs fois avant de porter une dénonciation qui doit infailliblement amener un « éclat, »