Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 65.djvu/780

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le Guzarate jouit d’une longue prospérité que ne peut troubler Mahmoud le Ghaznévide, qui tente vainement la conquête (1020). Les musulmans repoussés s’éloignent pour plus de deux cents ans, et dans ce long intervalle de paix l’architecture indigène couvre le sol des monumens les plus originaux. Ce n’est qu’à la fin du XIIIe siècle et dans le cours du XIVe que le mahométisme finit par l’emporter. Les Radjpoutes se convertissent, ils sont tributaires des souverains de Delhi ; mais après les troubles qui suivent les expéditions de Tamerlan ils se rendent indépendans et constituent une dynastie locale. C’est à cette époque, au début du XVe siècle, qu’est fondée la ville d’Ahmed-Abad, sur l’emplacement d’une ancienne cité, et depuis plus de quatre cents ans elle est la capitale très populeuse et très riche du Guzarate. Après Bombay, elle est maintenant la ville la plus prospère et la plus importante de l’Inde occidentale. Sous le grand Akbar, qui fit la conquête du Guzarate en 1572, elle ne comptait pas moins de deux millions d’habitans. Dans le milieu du XVIIIe siècle, les Mahrattes de l’est chassèrent les mahométans. Voilà cinquante ans environ que les Anglais, vainqueurs des Mahrattes, ont rendu à la contrée sa vie nationale, rétabli les chefs indigènes, devenus leurs tributaires, et ranimé l’antique éclat d’Ahmed-Abad, qu’ils ont reliée à Bombay par un chemin de fer.

Ce coup d’œil historique suffit pour faire voir que le Guzarate est riche en monumens de bien des genres et de bien des époques. Le volume dont nous parlons ici ne donne guère que ceux des XIVe, XVe, XVIe et XVIIe siècles. On peut y étudier un art où se retrouvent mélangés le goût indigène et le goût mahométan ou arabe, un style qui ne manque ni de charme, ni de grâce, ni même de grandeur. Cette architecture tient une place distinguée entre l’art mauresque proprement dit et l’art hindou ; elle n’a ni toute la légèreté de l’un, ni surtout la lourdeur un peu écrasée de l’autre. Les monumens d’Ahmed-Abad ont un caractère qui n’est qu’à eux, et nous croyons que dans l’histoire de l’art c’est une page qui n’est pas à dédaigner, et qui jusqu’à présent n’avait pas été connue. Nous recommandons plus particulièrement aux amateurs et aux savans les mosquées de Syoud Alum, de Moulik Alum, de Sidi Syid, de Koutoub-Shah, de Syoud Osman, de Sidi Bussir, de Mouhafiz-Khan, de Shapour, les tombes de Râni Sipri, d’Ahmed-Shah Ier, fondateur d’Ahmed-Abad, de Koutoub-i-Alum, de Mir Abou Tourab, la salle de Shah Alum avec son lac, le temple de Svami Navayana.

Ce volume, à quelque point de vue qu’on le considère, est digne de l’attention la plus sérieuse et la plus sympathique. On ne saurait trop encourager des efforts, si méritoires et si inattendus, et pour notre part nous serions heureux que ces quelques lignes entretinssent le zèle qu’on montre déjà, qu’elles pussent provoquer de nouvelles et heureuses imitations. Le champ est vaste autant que neuf, et il n’y aura jamais trop de mains pour le cultiver.


BARTHELEMY SAINT-HILAIRE.


F. BULOZ.