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fanatiques un vrai et grand Italien. Elle a mis une sorte de soin jaloux à jeter le voile sur une des plus tristes et des plus sombres pages des révolutions de 1848. C’est la pensée qui a inspiré tous les hommages rendus à la mémoire de Rossi depuis quelque temps, et en particulier le monument qu’on lui élevait, il y a quatre ans, à l’université de Bologne, dans cette université où il avait commencé sa carrière, presque adolescent encore, comme professeur de jurisprudence. L’Italie ne s’est pas bornée là, elle a voulu élever à Rossi un autre monument par la publication de ses œuvres complètes, qui se poursuit grâce aux soins de M. Boncompagni et d’une commission royale sous les auspices du gouvernement lui-même. C’est ainsi que paraît aujourd’hui le Cours de droit constitutionnel, reproduit d’après la sténographie scrupuleusement fidèle d’un ancien élève de Rossi, M. Porée, qui s’est aidé des notes et des souvenirs de deux autres élèves du maître devenus conseillers d’état, MM. Alfred Blanche et Boulatignier.

Chose étrange, au moment où M. Guizot, comme ministre de l’instruction publique, créait en 1834 une chaire de droit constitutionnel à la faculté de Paris, c’est un étranger qu’il appelait à professer cet enseignement nouveau, « à la fois vaste et précis, fondé sur le droit public national et sur les leçons de l’histoire, susceptible de s’étendre par les comparaisons et les analogies étrangères. » Rien ne prouvait mieux assurément l’idée que Rossi avait déjà donnée de lui-même, de son esprit, de son aptitude à manier tous les problèmes de la politique, et cette idée il avait eu l’occasion de l’inspirer par les cours qu’il avait faits en Suisse, par son rôle même dans les affaires helvétiques. Rossi n’était pas homme à rester au-dessous de telles fortunes, et on sait tout ce que son enseignement eut de solide, de lumineux et d’élevé. Pendant quelques années, il s’imposa par l’autorité du talent. Trente ans sont passés depuis cette époque. De la situation de la France, des lois constitutionnelles qui semblaient alors définitives et que Rossi était chargé d’interpréter, il ne reste plus rien, ou ce qui reste est bien peu de chose. Tout a changé ; mais après tout ce qui ne change pas, c’est l’essence même du droit. Les lois supérieures et souveraines de la politique ne varient pas au gré de ces hasards qui s’appellent des révolutions. Les dehors peuvent changer, la liberté peut avoir ses humiliations et ses malheurs ; les garanties essentielles sans lesquelles elle n’est qu’un vain mot restent toujours les mêmes. Rossi le savait bien, il entrait dans cette étude avec l’idée élevée de toutes les conditions de la civilisation moderne, avec le sentiment du droit, avec la connaissance de l’histoire, et si par certains côtés son enseignement semble s’appliquer à une situation qui n’est plus, par le fait il a une portée plus haute, il est de tous les temps, et plus particulièrement de ces temps où toutes les notions de droit semblent s’altérer. Les faits passent ou se transforment, les principes restent avec leurs conditions nécessaires d’application, et un jour ou l’autre la liberté renaît de la stérilité même des efforts par lesquels on a voulu en affaiblir les garanties. C’est surtout dans le cours de Rossi qu’on peut