Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 65.djvu/771

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

subtiliser sur la peine de mort, qu’il a toujours combattue, sur l’inviolabilité de la vie humaine, sur la nécessité qu’il y a pour lui de chercher l’absolution suprême sur l’échafaud, — sauf à exprimer le désir que celui où il montera soit le dernier. Robert Burat manque ici évidemment de logique, car le meilleur moyen d’aider au renversement de l’échafaud eût été de commencer lui-même par ne point donner un si terrible argument à ceux qui désirent qu’il soit maintenu. Je ne veux dire qu’une chose, c’est que ce récit est plutôt une ébauche de roman, une étude littéraire, qu’une histoire complètement réussie, et si l’expérience, la maturité de la conception, l’art de saisir et de fixer la vérité humaine, manquent encore à M. Jules Claretie, il est assez jeune et assez bien doué pour ne voir dans ce qu’il a fait jusqu’ici qu’un acheminement, une préparation à des œuvres nouvelles.

Je m’arrête, je ne voudrais pas pousser plus loin cette revue de quelques talens nouveaux, de quelques œuvres nées au soleil de la vie quotidienne. Que sont en réalité tous ces écrits, romans et articles, satires et analyses du monde contemporain ? Ce sont les signes de l’activité croissante d’une génération d’où vont sortir, d’où sortent chaque jour ceux qui donneront à la littérature de cette fin du siècle son caractère et ses formes. Comptez ceux qui déjà se sont révélés depuis vingt ans, depuis dix ans : ils sont partout, quelques-uns sont arrivés à la renommée. Voici une alluvion nouvelle, les hommes d’aujourd’hui et de demain. Ce n’est pas, comme on le croit quelquefois, un trouble dans la marche de la littérature, c’est peut-être un accroissement de forces, à la condition pourtant que cette école buissonnière ne devienne pas un régime permanent. Ni la verve, ni l’esprit, ni les dons faciles ne manquent assurément à cette génération nouvelle, c’est bien plutôt la trempe du talent qui mûrît par la réflexion, par l’étude, et aussi l’étendue de l’observation. C’est un de ces jeunes esprits, M. Albert Wolff, qui dit dans son livre, pour en expliquer le sens et le titre, qu’il « traite du monde mixte qui commence au faubourg Montmartre et finit au premier lac du bois… On y voit la gloire et la honte, le travail et la paresse, les Parisiens et les étrangers, les grands financiers et les petits filous, les hommes d’esprit et les idiots, les sublimes et les grotesques, et sur la chaussée passent les honnêtes femmes et les autres… » Je le veux bien ; mais il en résulte que, si on s’attarde un peu trop dans ces parages, on ne voit plus que le boulevard ; il en résulte encore que l’observation reste nécessairement superficielle pour devenir bientôt Oiseuse et monotone, — parce qu’en dehors du boulevard il y a le vrai monde immense et profond, parce qu’en dehors de la vie artificielle, dont en se donne là le spectacle, il y a la vraie et grande vie humaine, et ce n’est qu’au contact de cette vie humaine, de ce vrai monde de tous les hommes que le talent, en perdant sa fleur de jeunesse, retrouve les directions et la force d’une fertile maturité.


CH. DE MAZADE.