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continuation de ces combinaisons politiques, bien des facilités intimes, très efficaces, quoique frappées de vétusté, qui demeurent encore à la disposition de la plupart des autres gouvernemens monarchiques du continent.

La conclusion vraiment pratique qu’il y aurait à tirer de l’examen de la situation de l’Europe serait donc pour la France de se replier sur elle-même et de chercher avec ardeur dans sa vie politique intérieure cette force matérielle et morale qui est la condition la plus sûre du rayonnement extérieur d’un grand peuple. La France n’a aucun agrandissement territorial à désirer ; aucun intérêt sérieux, aucun sentiment naturel ne la pousse à nourrir contre d’autres peuples ou à exciter contre elle-même des haines de race. Toute son ambition, et celle-là est la plus noble et la plus légitime, devrait être de s’élever et de grandir dans les belles limites où son histoire l’a placée. Quelle vaste carrière lui ouvrent les progrès intérieurs qu’elle doit, sous peine de déchoir, accomplir sur elle-même ! Une pensée revient sans cesse depuis cinq ans dans les discours et les écrits des grands citoyens américains qui ont fait triompher l’Union et la république, et il est impossible à des Français qui n’oublient point la noblesse de leur race d’entendre sans émotion l’écho de cette pensée : « Ne laissons pas périr, disent les patriotes américains, sauvons à tout prix, défendons non-seulement pour nous-mêmes comme un héritage que nous avons reçu de nos pères et que nous devons transmettre à nos enfans, mais pour l’humanité tout entière, à laquelle elle montre l’idéal et prépare un abri libérateur, cette grande forme républicaine qui assure la liberté sur le fondement de l’égalité et de la justice. » Nos contemporains des États-Unis reconnaissent et proclament, par l’organe de leurs plus éminens politiques et de leurs meilleurs citoyens, la responsabilité qu’ils encourent envers l’humanité tout entière dans la durée et le perfectionnement de leurs institutions républicaines. Jamais, dans l’ordre social et politique, une plus belle et plus honnête ambition ne s’est confondue avec une plus grande conception du devoir. Cette ambition et cette idée du devoir furent celles de nos pères. On pensait et on parlait ainsi chez nous au début de la révolution. On crut alors avec une naïveté digne de respect que la France allait réaliser pour elle-même et au profit de l’humanité l’exemplaire du gouvernement raisonnable et juste, du gouvernement du peuple par le peuple. Et cette espérance ne fut point considérée alors dans le monde comme une effusion de la vanité française. En Angleterre, en Allemagne, en Italie, les plus grandes intelligences alors vivantes répondirent à la bonne promesse et crurent à la mission de la France. La France demeure encore responsable devant l’humanité de l’achèvement de sa révolution. Les échecs qu’elle a maintenant à réparer ne sont plus les échecs militaires, ce sont les avortemens trop répétés de ses efforts vers la liberté politique ; ce ne sont plus ses frontières qu’il faut reculer, ce sont ses institutions qu’il faut élargir ; ce ne sont plus seulement ses cadres militaires qu’il faut étendre, c’est l’énergie morale de ses citoyens qu’il faut exciter par un plus libre