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lord-maire, une cérémonie quelconque dans la première petite ville venue lui permet d’exposer ses vues d’une façon tout individuelle, avec simplicité et bonne humeur, dans une langue familière qui évite l’écueil du pédantisme et la fixité obligatoire de la parole écrite des papiers d’état. Les aperçus et les théories d’une harangue improvisée échappent à la raideur du dogme et ne créent point d’engagemens absolus : on peut, à cet exercice, être hardi sans être compromettant ; on peut y essayer sur l’esprit public des idées ingénieuses, piquantes, fécondes, et, grâce à la bonhomie du ton, à la fluidité de l’expression, tourner les difficultés, au lieu de s’achopper aux phrases inflexibles et invariables du document rédigé. Il nous semble que, dans les circonstances où se trouve la France, nous aurions besoin d’un peu de cette libre parole voltigeant autour des questions, et portant sans apprêt l’attention du public sur les objets qui l’excitent ou le préoccupent. Malheureusement nos mœurs ou nos institutions ne se prêtent point encore à cette élasticité de la vie politique. L’intervention d’en haut ne s’exerce parmi nous que sous les formes solennelles. On a toutefois compris sagement qu’il fallait ménager et réserver en ce moment la parole directe du chef de l’état. Après le discours d’Auxerre et la lettre à M. Drouyn de Lhuys, on a senti qu’il y aurait des inconvéniens à réclamer de l’empereur lui-même l’exposé de la situation présente. On a eu recours à la forme de la note diplomatique, qui se prête mieux aux aperçus secondaires et à l’argumentation. Un discours de meeting eût mieux valu à notre gré qu’une dépêche.

Ce que nous approuvons avant tout dans la circulaire de M. de La Valette, c’est la conclusion fermement pacifique et le ton de confiance avec lequel sont abordées les nouvelles conditions de l’Europe. — Ce qui peut donner matière à contestation, ce sont les développemens de la pensée ministérielle qui touchent à des points trop nombreux ou tranchent par des assertions trop sommaires les questions soulevées. C’est ici que se rencontrent les difficultés de la tâche qu’on entreprend quand on veut définir par un papier d’état une situation complexe et vaste, une crise véritable de l’histoire européenne. Les circulaires diplomatiques ne peuvent guère s’appliquer qu’à la discussion d’une question précise et nettement délimitée. Elles ne sont point un cadre naturel pour la philosophie prophétique de l’histoire. Un ministre des affaires étrangères, quelle que soit la grandeur de ses conceptions, ne peut se placer, comme le philosophe et l’historien, au-dessus des liens de procédure et de légalité qui unissent dans la pratique les faits aux faits : il y a un élément obligé de notaire et d’avoué dans un ministre des affaires étrangères, et les hommes politiques ne lui accordent point les mêmes libertés qu’à l’historien, appliqué à étudier les lois de la dynamique mystérieuse qui régit les peuples et l’humanité. Nous ne sommes donc point surpris des réclamations qu’a excitées par exemple le passage de la circulaire où il est parlé de la puissance irrésistible qui pousse les peuples à se réunir en grandes agglomérations en faisant disparaître les états