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donc très petite, puisque, sauf un rhythme choral, elle se réduit à un usage primordial dont ils n’ont été que les conservateurs ; mais pour nous le drame, c’est le dialogue, c’est l’acte qui s’accomplit sur la scène. Or l’action dramatique a été créée par des Athéniens, la langue du dialogue est l’ionien d’Athènes, la musique des parties chantées par les acteurs ne peut jamais, selon Aristote, être l’harmonie dorienne. La scène, les gradins, le masque aussi sans doute[1], en un mot toute l’organisation matérielle du théâtre est une création athénienne ; elle date de la fin du VIe et de la première moitié du Ve siècle avant Jésus-Christ. Presque tous les élémens de la tragédie sont postérieurs à Solon, c’est-à-dire à l’apparition dans le monde et la première organisation de la démocratie et de la liberté.

De même et presque en même temps le chant de Cômos, demeuré stérile entre les mains des Doriens, fut importé dans une commune de l’Attique par un Mégarien nommé Susarion. A peine introduit dans ce milieu fécond, chez un peuple libre, nullement mystique, composé de commerçans et de marins, s’assimilent les inventions d’autrui et les développant avec une initiative puissante, le chœur grotesque du dieu du vin se transforma en une scène régulière qui fut la comédie. Pleine de liberté, d’audace et de folie, la comédie naissante se prit à toutes choses et se railla de Bacchus lui-même et des dieux, au grand scandale des peuples doriens et des vieilles féodalités. Son histoire fut celle de la liberté athénienne : politique pendant plus de cent ans, elle cessa de l’être après la prise d’Athènes par le Dorien Lysandre. Dès lors, privée de moralité ainsi que d’indépendance, elle montra tout à la fois plus d’art et moins de grandeur, jusqu’au jour où la Grèce, devenue monarchique et asservie sous les rois macédoniens, cessa de produire des œuvres comiques dont la postérité ait dû garder le souvenir.

Là s’arrête l’œuvre d’Otfried Muller ; nous ne pousserons pas plus avant notre examen pour ne point empiéter sur le livre de M. Donaldson. Nous dirons seulement qu’à partir d’Alexandre le Grand une influence nouvelle se fait peu à peu sa place dans le monde hellénique, c’est celle de l’Orient. L’Orient à cette époque, c’est la Perse et l’Inde. Le mouvement des esprits se concentrait dans Alexandrie ; là était le rendez-vous des poètes, des littérateurs, des savans, des philosophes, de tous ceux que préoccupait la rénovation religieuse de l’Occident. Athènes était comme annulée : la force était à Rome, et l’idée en Égypte. D’ici partait une action puissante

  1. Quant au cothurne, mot qui n’est pas grec et qui désignait la chaussure élevée et massive de Bacchus, il est probable qu’il avait une origine mystique, et qu’il symbolisait le pied de vigne sur lequel croissent chaque année les sarmens nouveaux.