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et le dialogue, c’est-à-dire l’orchestre et la scène. Chez les modernes et chez les Latins, le chœur ne paraît que par imitation dans un très petit nombre de drames. Chez les Grecs, il a disparu de la comédie dès l’époque d’Aristophane au commencement du IVe siècle ; mais la tragédie l’a gardé jusqu’à la fin. Seulement, à mesure que l’on remonte vers le passé, on voit le dialogue occuper une place de moins en moins grande et l’étendue des chœurs augmenter. Dans certaines pièces d’Eschyle, le chœur forme presque toute la pièce, et nous savons que peu de temps avant ce poète la fonction de l’acteur se réduisait à un simple récit. Enfin, au-delà de cette époque primitive, il n’y a même plus d’acteur, le chœur est tout. On peut donc énoncer ainsi la loi : dans le drame, le chœur et le dialogue se sont développés en raison inverse l’un de l’autre. Le problème des origines se réduit à savoir ce que c’était que ce chœur et comment il a pu engendrer les deux formes du drame. La philologie comparée répand sur ce sujet le jour le plus vif et résout les difficultés qui arrêtaient encore Otfried Muller ; mais, pour rendre compte de ces solutions, j’ai besoin de dire quelque chose du culte de Bacchus, d’où les deux formes du drame sont issues.

Bacchus, comme on le voit dans le sixième fragment homérique, n’est pas le vin, mais la force vivante et divine qui réside dans la liqueur sacrée ; cette liqueur était en Orient le suc de l’asclépias acide, le sôma ; dans l’Occident, dont la flore n’offre pas cette plante, ce fut et c’est encore le vin. Bacchus est présent dans cette liqueur de vie, la plus alcoolique des liqueurs, et celle qui est la plus capable de nourrir le feu, d’échauffer celui qui la boit, d’exalter son cœur et sa pensée. L’histoire de Bacchus est celle du vin. Né des feux du soleil, il a pour père Jupiter, qui le fait naître d’un coup de foudre du sein mort et flétri de Sémélé ; cette blonde Sémêlé, dont le nom n’est pas grec, n’est autre que la Sômalatâ des hymnes indiens, la plante sarmenteuse qui engendre le sôma ; c’est donc la grappe de raisin considérée comme mère de la liqueur sacrée. Quant à ses nourrices tour à tour vieilles et rajeunies par Médée, elles ne sont autre chose que les sarmens de la vigne, qui vieillissent chaque année et que le vigneron par son intelligence renouvelle en les coupant. Cette théorie de Bacchus ne se présente en Grèce que sous la forme d’un mythe dont les détails n’ont pour la plupart qu’une signification obscure. Ce manque de clarté tient à deux causes qui se retrouvent dans presque toute la mythologie des Grecs : les noms des personnages, de leurs attributs et des objets de leur culte sont en général des mots étrangers dont la langue grecque ne donne ni le sens, ni l’étymologie ; en second lieu, les théories primordiales ont engendré des légendes, les idées abstraites