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habitent en commun l’Olympe réel de Bithynie, dernier pic de la chaîne asiatique qui commence à l’Himalaya ; leur dynastie n’est pas constituée, le partage du monde entre eux n’est pas définitif, Neptune ne reconnaît pas encore la suprématie de Jupiter ; enfin les vieux titans forment toujours la haute police de la cour céleste. Tout est changé dans la seconde épopée : Jupiter est un maître accepté par tous, l’Olympe est pacifié, la raison et les concessions y ont fait place à l’usurpation, la nature grossière de ces dieux qui se battaient à coup de pierres s’est adoucie ; Minerve est calme, sereine, tout intelligence ; Vulcain, dont le caractère est devenu si noble, a pour femme une Aphrodite débauchée ; les titans ont disparu ; les dieux habitent un Olympe fantastique élevé au-dessus des nuages, des vents et des intempéries, véritable empyrée tel que le Borj des Perses et le Mêrou des Indiens. Quant aux hommes, leurs mœurs mt grossières dans l’Iliade, chacun y suit son tempérament et ses instincts, les héros s’injurient dans les termes le plus bas de la langue usuelle, ils n’ont point l’idée des lois du mariage, ils ont plusieurs femmes, sans compter celle qu’ils ont laissée au logis, et personne n’y trouve à redire ; les femmes sont estimées non d’après leur mérite moral, mais selon leur beauté et leurs talens manuels. Dans le poème d’aventures, la vie est devenue élégante, comme on le voit dans l’épisode d’Alcinoos ; tout respire la politesse et la délicatesse des sentimens et des manières, la société est civilisée, le luxe l’a envahie ; Vénus porte du fard. Y a-t-il dans l’Iliade une femme qui approche de Pénélope, d’Arêté, de Nausicaa ? C’est la vertu qui fait leur mérite.

Enfin la constitution sociale s’est modifiée. L’Iliade est un tableau parfait de la féodalité : ici le peuple n’est rien, on ne le voit pas ; il est dévoré par les rois, taillé à merci, maltraité par le roi Priam ; pour lui nul droit, nulle considération. Les princes sont égaux entre eux, indépendans dans leurs domaines, sans comptes à rendre à personne, jouissant du droit divin dont le sceptre donné par Jupiter est l’emblème. Ces petits rois sont réunis sous le commandement d’Agamemnon, qui est leur pair, comme Achille le lui rappelle, et qu’ils ont pris pour commander à l’armée dans cette croisade contre Troie. Les rois de l’Odyssée gouvernent, mais appuyés sur le peuple ; le peuple est consulté dans toute circonstance, il est le maître de son avoir, il vote l’impôt, il est craint. Opprimé par les princes ses voisins, le jeune Télémaque les menace d’avoir recours au peuple. Enfin l’idéal d’un roi de ce temps est décrit au chant XIXe, et le portrait ne ressemble plus en rien à celui qu’on peut tirer de l’Iliade.

Pour compléter le contraste, les grands rois de l’époque héroïque, Ménélas lui-même, sont devenus commerçans. Le commerce est bien