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circonstances sociales, politiques, religieuses, dont l’action s’est exercée sur leur génie pour le produire ou pour le transformer. On ne s’extasie plus dans une admiration béate devant un nom ou devant un livre, sans même se demander si ce nom représente un homme et si ce livre est l’œuvre d’un auteur ou d’une époque. L’historienne veut plus avoir en face de lui que la réalité ; la critique a remplacé le sentiment.

Deux caractères distinguent les nouvelles histoires littéraires : l’interprétation naturelle des faits et la perfectibilité. L’interprétation est dominée par cette loi universelle de la nature, que rien n’apparaît subitement dans sa forme parfaite et définitive ; toute œuvre de l’esprit, étant, comme les autres choses, une production naturelle, est préparée par une longue élaboration avant d’atteindre à sa perfection la plus haute ; le premier orateur ne fut pas un Démosthènes, le premier tragique ne fut pas un Sophocle, le premier épique ne put pas être un Homère. L’art de ces grands hommes a été engendré par le travail de ceux qui les ont précédés. De même que le physiologiste n’atteint jamais le premier phénomène de vie où commence un animal, l’historien des littératures n’atteint jamais le premier fait duquel un genre littéraire a pris naissance ; mais l’un et l’autre peuvent par l’analyse se rapprocher de très près du point initial. La fin d’une littérature ou d’une création littéraire n’a pas lieu non plus subitement : l’instant où elle cesse est insaisissable. Elle disparaît par degrés et avec lenteur sans qu’on puisse dire à quel moment elle a tout à fait cessé d’être. De plus on n’en voit aucune qui se soit éteinte par une sorte d’anéantissement spontané, car tout être persévère dans son être. Elles se fondent pour ainsi dire dans d’autres qui leur succèdent ou qui viennent se mêler à elles et les transformer peu à peu. Ainsi la littérature grecque, dont les commencemens se perdent dans un passé ténébreux, se mêle par son autre extrémité à une civilisation nouvelle venue d’Orient ; elle semble perdre lentement le terrain que conquièrent les idées chrétiennes, et disparaît dans ce milieu comme les eaux d’un fleuve qui coulent quelque temps à la surface de la mer où elles se jettent, s’y mêlent petit à petit, en prennent la saveur, et finissent par s’y confondre entièrement.

Il résulte de là que pour nos esprits avides de science les momens les plus intéressans d’une littérature ne sont pas toujours ceux où elle atteint la perfection ; ce sont ceux où elle commence et où elle finit. Notre goût classique se forme par la contemplation des chefs-d’œuvre ; cependant notre besoin de savoir n’est pas satisfait par la simple vue de ces belles formes que nous adorons quand elles se révèlent à nous. Oui, mon âme est émue par le