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L'IMMORTELLE

Lorsque le premier homme, à sa première aurore,
Au sein du monde immense et vierge comme lui,
Promenait vaguement, pensif et seul encore,
La curiosité de son divin ennui,

Les mots venaient éclore à sa lèvre étonnée
A chaque enchantement du spectacle infini,
Comme vient la chanson éclore au bord du nid :
A l’heure qu’il naissait, la parole était née.

Mais lorsque, s’éveillant de son autre sommeil,
Il vit, plus belle encor que l’aurore première,
Eve nue et debout dans la grande lumière
Comme un astre vivant adorable et vermeil,

Il étendit les bras vers sa maîtresse blonde,
Et jusqu’à son désir inclinant sa beauté,
Sachant bien que l’amour lui coûterait le monde,
Du remords éternel il fit la volupté ;

Et dans le doux transport dont l’âme était saisie,
Et dans le dur sanglot qui s’y venait briser,
Tu naquis à ton tour, ô jeune poésie,
De la première larme et du premier baiser !…