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discréditant les formes extérieures de celui-ci. Ce faux classique commence avec Jean-Baptiste Rousseau, et même, il faut le dire, avec les tragédies et la Henriade de Voltaire ; il produit au XVIIIe siècle les tristes tragédies de La Harpe et de Marmontel, trouve plus tard un éclat, non tout à fait immérité, dans les poésies de l’ingénieux Delille, se lance dans les témérités avec Ducis, atteint l’apogée du médiocre et de l’ennuyeux avec la littérature impériale, jette ses dernières flammes et rend le dernier soupir avec l’aimable, le spirituel, l’élégant Casimir Delavigne. M. Nisard juge toute cette littérature de la manière la plus saine et la plus éclairée. C’est au nom du classique bien entendu qu’il critique, en y mêlant les éloges mérités, et les odes de Jean-Baptiste Rousseau, et les tragédies de Voltaire, et les comédies du XVIIIe siècle : même, dans un autre genre, il va jusqu’à baisser d’un degré le rang de Massillon. Enfin il est facile de voir que la critique classique s’est réconciliée avec la critique romantique dans ce que celle-ci avait de judicieux et de conforme au bon goût, lorsqu’on lit ce jugement si délicat et si juste de M. Nisard sur André Chénier. « Avec André Chénier, l’imagination, la sensibilité, le naturel, rentrent dans les vers… André Chénier est le dernier-né des poètes du XVIIe siècle. Il est de ce beau temps des lettres françaises par la mesure, les images modérées et justes, par l’éclat doux et égal, par les beautés antiques pensées et senties de nouveau, par le style, où il a la noblesse du grand siècle sans en avoir l’étiquette. S’il eût vécu en ce temps-là, Boileau l’eût rendu peut-être plus difficile sur la correction ; mais en retour il eût appris à Boileau un idéal de l’élégie et de l’idylle bien autrement aimable que celui de l’Art poétique. »

Cependant, quelque agrément et quelque intérêt que puisse avoir la littérature proprement dite au XVIIIe siècle, il est clair que ce grand siècle n’est pas là, il est tout entier dans la philosophie et dans ces quatre hommes illustres ; Voltaire, Buffon, Montesquieu et Rousseau. De ces quatre grands écrivains, il en est deux que M. Nisard me paraît avoir jugés avec une parfaite justesse : c’est Voltaire et Buffon ; on lira avec plaisir et instruction les chapitres qu’il leur a consacrés, mais il est difficile de ne pas faire d’assez nombreuses réserves quant aux deux autres.

Le jugement de M. Nisard sur Montesquieu est plein de vues fines et neuves, il fait penser. L’auteur s’y montre sensible aux grandes beautés de ce noble génie, et on ne peut l’accuser de ne l’avoir pas goûté. Néanmoins on est étonné des dispositions restrictives qu’il apporte presque à chaque ligne a son admiration. Pour les écrivains du XVIIe siècle, il fait d’ordinaire un partage égal. Il commence par nous pénétrer de leurs beautés, et ne mêle