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licencieux, comme La Fontaine, qui flâne en rêvant ; — c’est le bourgeois parlementaire, né près du Palais de justice, ayant jeté aux orties le froc de la basoche, mais ayant conservé le goût des mœurs solides et des sérieuses pensées, — le bourgeois demi-janséniste, quoique dévoué au roi, aimant Paris, peu sensible à la campagne, détestant les mauvais poètes et les fausses élégances des ruelles et des salons, peu mondain, indifférent aux femmes, et par cela même un peu gauche, un peu lourd, mais franc du collier. Comment, vous critiques, qui regrettez sans cesse dans notre littérature l’élément gaulois et populaire, comment n’avez-vous pas vu que ce poète est de race gauloise, de race populaire, que c’est là le Parisien, mais le Parisien à l’âge mûr, frère de Molière et de La Fontaine, quoique au-dessous. Voilà Boileau tel que je le comprends, tel que me le donne à comprendre M. Nisard dans son excellent chapitre sur cet écrivain si controversé. Par sa passion du vrai, par son horreur du faux, Boileau a instruit le goût public, et s’il n’a pas formé les grands poètes de son temps, qui auraient pu se passer de lui, il a rendu, le public attentif et sensible aux beautés de leurs chefs-d’œuvre ; par là, il s’est associé à leur gloire, et avec justice.

Maintenant, lorsque Boileau, dans un ouvrage spécial et presque technique, nous donne en termes un peu froids des recettes pour faire des chefs-d’œuvre, lorsqu’il imite Descartes et fait en quelque sorte le Discours sur la méthode de la poésie, je crains qu’il n’ait donné au didactique plus que la poésie n’en peut supporter, et qu’il n’ait cru à la vertu des règles plus qu’elles ne le méritent. Ce rapprochement même si ingénieux et si vrai que M. Nisard établit entre Descartes et Boileau me fait pressentir ce que la poétique de celui-ci peut avoir de sec et d’étroit, car comment cet esprit de méthode, si excellent dans les sciences, serait-il en même temps bon pour la poésie, sans que celle-ci en fût un peu diminuée et refroidie ? Horace à la vérité a fait aussi un art poétique ; mais ce sont les rhéteurs qui l’ont baptisé ainsi : pour lui, ce n’était qu’une lettre aux Pisons, lettre familière à des jeunes gens auxquels il donne des conseils en se jouant dans le langage de la plus libre et de la plus aimable conversation. Au contraire, dans l’Art poétique de Boileau, tout est solennel, méthodique, dogmatique : c’est évidemment un code. Or la poésie a-t-elle besoin de code ? Homère et Sophocle en avaient-ils un ? Ce n’est pas que je dédaigne l’Art poétique de Boileau, les conditions saines et solides de toute poésie y sont vivement exprimées ; mais j’ai besoin après l’avoir lu, et pour ne pas oublier que la poésie est chose divine et légère, de relire la Lettre à l’Académie française de Fénelon.