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ressent l’éternel besoin, soit en lui peignant les mœurs des animaux, qui sont une image des mœurs humaines.

De plus il y a deux sortes de vérités littéraires selon M. Nisard : les unes qu’il appelle simples ou philosophiques, par exemple la peinture des mœurs, des sentimens et des passions ; les autres qu’il appelle morales, et qui sont des vérités de commandement. La réunion de ces deux ordres de vérités est le fond de toute grande littérature. Soit objet, c’est l’idéal de la vie humaine dans tous les pays et dans tous les temps.

Il résulte de ces principes que tout ce qui est mode, caprice, tournure particulière d’imagination, esprit d’un temps, imitation factice, que tous ces élémens étrangers au beau, qui l’imitent ou qui le masquent, doivent être écartés par la critique littéraire, que celle-ci ne doit s’attacher qu’à ce qui est humain, général et vrai. En cela, elle n’a qu’à suivre les indications que lui donne l’opinion elle-même, un instant attachée à de fausses beautés, mais qui finit toujours par s’en dégager, et ne conserve dans ses admirations que ce qui est solidement vrai et solidement beau. De là le prix qu’il faut attacher à la tradition en littérature, non sans réserve toutefois, car il peut arriver que la tradition ne soit que la continuation irréfléchie d’un faux goût.

La littérature française a ainsi passé à plusieurs reprises par certaines manies qui ont duré un jour, ont enchanté les ruelles ou les salons pendant une saison, et ont disparu chacune à son tour : le précieux, le galant, le grotesque, le pompeux, le pleureur, le voluptueux, le lugubre, l’imitation italienne, espagnole, anglaise, allemande, grecque, tous ces faux goûts ont successivement succombé ; mais à côté de ces fausses beautés il y en avait d’autres vraies, générales, durables, qui ont subsisté. C’est à faire ce partage que M. Nisard s’est attaché. Il poursuit toutes les fausses beautés partout où il les rencontre, et nous donne les raisons pour lesquelles elles ont succombé.

Cette théorie générale du beau littéraire, dont je néglige tous les développemens, me paraît aussi solide qu’ingénieuse. Peut-être pourrait-on lui reprocher de ne pas faire la part assez grande à l’imagination dans les ouvrages d’esprit. Il ne faut point oublier que la littérature est un art, que ce qui distingue l’art de la science, ce n’est pas seulement la nature des vérités qu’il exprime, c’est encore la manière dont il les exprime, que son principal objet est de rendre le vrai ou l’intelligible par des formes sensibles, en un mot de parler au cœur, aux sens, à l’imagination en même temps qu’à l’esprit. L’imagination (et j’entends par là tout mouvement donné à la pensée) n’est donc pas une condition accessoire ou