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tels sont les principes qui guideront notre critique dans la discussion qui va suivre.


I

La théorie littéraire que nous dégageons de l’Histoire de la littérature française de M. Nisard se compose, selon nous, de deux parties distinctes : l’une solide, élevée, incontestable, susceptible d’une large application ; l’autre sujette à controverse, et qu’on peut, sans trop d’injustice, accuser d’esprit de système. Ces deux parties de la même théorie, ou, pour mieux dire, ces deux théories distinctes sont tellement mêlées entre elles, que ni l’auteur, ni ses critiques n’ont pris l’habitude de les séparer. C’est ce travail que nous essaierons de faire ici.

Voici d’abord ce que j’appellerai la première théorie de M. Nisard. Toute œuvre littéraire vraiment belle doit avoir pour fond « certaines vérités générales exprimées dans un langage parfait. » Ce qui touche tout le monde, ce qui touche éternellement, ce qui est vrai partout et toujours, voilà le beau. Encore aujourd’hui les adieux d’Andromaque et d’Hector, la prière de Priam aux pieds d’Achille nous touchent profondément. C’est que ce sont des scènes aussi vraies, aussi jeunes aujourd’hui qu’au temps d’Homère. Il n’est pas nécessaire d’ailleurs que toutes les beautés littéraires soient d’une aussi grande généralité ; mais la solidité et la durée des œuvres seront toujours en raison de cette généralité même. Au contraire tout ce qui n’intéresse qu’un temps particulier, un lieu particulier, quelques hommes, quelques professions, tout ce qui a besoin de commentaires pour être compris et goûté (je ne parle pas de l’intelligence des textes), tout ce qui se rapporte à des usages disparus, à des habitudes spéciales et locales, peut plaire à des érudits, ou a pu plaire dans un temps donné, mais n’est pas universellement, éternellement beau.

D’ailleurs il ne s’agit pas de toute espèce de vérités générales ; les vérités purement abstraites, dans lesquelles l’homme n’est pas intéressé, appartiennent aux sciences et non à la littérature : telles sont par exemple les vérités de l’algèbre. Les vérités littéraires sont nécessairement humaines ; elles ont rapport à la vie, aux sentimens, aux besoins de l’homme. Ce n’est pas à dire que les verités scientifiques ne puissent entrer dans la littérature, mais c’est à la condition qu’elles se mêlent à des vérités humaines et qu’elles touchent à l’homme par quelques côtés, soit en lui exposant l’histoire de la terre, son domicile et son séjour, soit en lui décrivant le spectacle des astres, symbole et image du monde invisible dont son âme