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charge. Mère d’un troisième dont le père l’appelait à Portsmouth, où il lui laissait espérer qu’il s’établirait définitivement avec elle, cette malheureuse vit dans les deux aînées un embarras, un obstacle peut-être à quelque mariage futur, et les noya de sang-froid dans une petite rivière voisine de la station où elle allait prendre le chemin de fer. La seule excuse dont elle put se prévaloir devant les juges fut que ces deux petites étaient sans protecteur ici-bas, tandis que la troisième en avait un. Sa terreur, son désespoir furent extrêmes pendant la durée des débats ; on dut l’emporter plus morte que vive après l’arrêt prononcé. Une commutation de peine nous l’a renvoyée ; et selon toute apparence elle finira ses jours à Millbank ou à Brixton. Elle compte parmi nos convicts les plus faciles à vivre et les mieux disciplinées. Règle générale, il en est ainsi de presque toutes les condamnées pour meurtre. Il est rare qu’elles nous viennent des classés les plus infimes, — je veux dire des plus ignorantes, des plus dépravées. La sentence définitive qui pèse sur elles, au lieu de les exaspérer, semble les tenir affaissées et briser en elles tout ressort de volonté. Pour celle-ci, un premier adoucissement de peine est peut-être le gage d’une commutation ultérieure. Qui sait si dans quinze ou vingt ans d’ici, à force de zèle et de docilité, de grades conquis, de bonnes notes obtenues, elle ne verra pas les portes de la prison s’ouvrir enfin ? Raisonne-t-elle ainsi ? Je ne sais. Ce qui est certain, c’est qu’elle ne querelle jamais ses camarades, n’entretient avec aucune d’elles une de ces amitiés suspectes qui sont la plaie des établissemens comme le nôtre, travaille avec Une bonne volonté soutenue, et se montre envers nous d’une politesse exemplaire. Un bon procédé ne la trouve pas ingrate ; en revanche, elle est quelquefois mordue au cœur par ces jalousies féroces qui gênent la bienveillance naturelle des matrones et leur désir de se concilier leurs subordonnées. En pareil cas, elle ne montre ni colère ni insolence. Seulement elle couve, pour ainsi dire, d’un regard noir la prisonnière à qui elle envie une parole affectueuse, un léger privilège, et ne répond plus à nos questions que par de laconiques monosyllabes.

Étrange petit monde que le nôtre ! On y retrouve, en germe ou pleinement développées, toutes les passions qui fermentent par-delà nos hautes murailles. Devrait-on s’attendre à ce que la vanité féminine, l’amour de la toilette, le désir de mettre dans tout leur relief les avantages physiques dont on se croit doué, puissent pénétrer jusque dans cet abîme clos et perdu ? Il y existe pourtant et revêt le caractère d’une vraie mono manie, d’une contagion irrésistible. On a vu des prisonnières lécher patiemment le plâtre des murs et s’approvisionner ainsi de je ne sais quel affreux cosmétique, sur la