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autres, — et par toutes les ouvertures que le temps a faites dans leurs rangs serrés on aperçoit deux et trois lignes d’horizons bleuâtres aux teintes graduellement affaiblies.

Cette mince et rapide barrière est justement la Cumbre ou la Montagne, où court en demi-lune, embrassant la vallée, la promenade favorite des habitans de Matanzas. Cette promenade ne ressemble ni au bois de Boulogne de Paris, ni au Central-Park de New-York. Ce n’est même pas Pausilippe, ni la Corniche de Gênes ; c’est un rude sentier de montagnes où les volantes grimpeuses s’en vont en cahotant par-dessus rochers et ornières. On passe la rivière San-Juan sur un pont de bois, on gravit les premiers étages de la colline parmi les dernières maisons de la ville ; les chevaux piétinent quelques minutes sur un raidillon presque à pic ; puis on chemine à mi-côte le long de la baie, laissant derrière soi la rade et la ville, qui semblent jouer à cache-cache derrière les promontoires. Tantôt une villa modeste aux toits écrasés, aux murailles blanches, ombragée de palmiers séculaires, précédée d’une longue allée de cocotiers en éventail ; tantôt une petite ferme entourée d’un enclos où paissent une vache, un cheval, une chèvre accompagnée de ses petits biquets à robe noire ; puis l’aloès élevant sa tige altière et fleurie au milieu des haies, une sorte d’aubépine rose et odorante en pleine fleur, le lit doux et brillant de la mer azurée entrevu dans la profondeur à travers le feuillage, et enfin sur la crête, dans une échancrure soudaine, la vue radieuse de la vallée enveloppée de toutes les gloires du soleil couchant, avec ses belles pentes couvertes d’une forêt de palmiers innombrables, dressant leurs têtes superbes et leurs chevelures ondoyantes, où le soleil se mirait dans la verdure et étincelait sur chaque feuille comme s’il était tombé du ciel une pluie d’or et de diamans : — telle m’apparut la Cumbre un soir au déclin du jour, à l’heure où la lune commence à s’argenter dans l’azur, et où les montagnes du couchant se noient dans une poussière dorée. De temps en temps une haie de cactus, un pan de broussailles, un pli de terrain, un bouquet de yuccas hérissés, quelque arbre à touffe épaisse et noire nous dérobait le merveilleux spectacle qui attirait et fixait nos yeux éblouis ; puis de nouveau nos regards plongeaient dans la profondeur ouverte à nos pieds, s’y roulaient avec délices sur les croupes molles et voluptueuses, puis s’enivraient des flots de lumière ardente où l’horizon nageait confondu. Tout était transfiguré : — les montagnes agrandies par la poudre d’or qui voilait leurs formes et de chaque pli de terrain faisait une ligne colossale et lointaine ; les millions de sveltes palmiers répandus sur la colline et la plaine, qui semblaient incliner leurs fronts amoureusement vers le soleil ; les prairies où scintillait chaque brin d’herbe, et jusqu’à ce