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un étroit soupirail, ressemblent fort à des cachots ; mais l’essentiel en ce climat est d’éviter la chaleur et d’avoir un abri solide contre les pluies de l’été. Dans les couloirs qui séparent deux à deux ces chambrettes, il y a de petits fourneaux de briques dont les voisins se partagent la jouissance, car les nègres, bien que nourris déjà à la gamelle commune de la plantation, aiment, paraît-il, à faire chez eux leur petit ménage et à cuisiner quelque friandise en famille. Grande est l’humanité du maître qui pourvoit ainsi à leur bien-être et satisfait volontiers leurs goûts innocens. Ils sont mieux logés dans ce phalanstère de l’esclavage que sous leurs huttes grossières de bambous et de feuilles. Il y a pourtant je ne sais quoi de pénible dans la vue de cette grande ménagerie ; on n’aime jamais à voir des créatures humaines parquées comme des troupeaux dans une étable.

Rien de plus gai au contraire que la nursery, grande cage en treillis à jour où l’on enferme les enfans nègres pendant que leurs parens vont à l’ouvrage. Les petits diablotins noirs se roulent tout nus dans la poussière et gambadent autour de nous en nous demandant un sou, tandis que la gardienne, prisonnière avec eux, nous fait un large sourire en tressant une natte de paille. Plus loin, nous visitons l’hôpital, à peu près vide pour l’heure présente, et la pharmacie, où travaillent deux apothicaires blancs au milieu des bocaux et des cornues. Un vieux nègre s’approche de M. G… en le saluant humblement de sa tête grise ; il se plaint de douleurs d’estomac et lui demande un remède. G… l’écoute, l’examine, et lui fait une ordonnance sur une feuille qu’il déchire de son calepin. « Vous voyez, me dit-il, c’est mot qui suis le médecin, comme je suis toutes choses, fermier, machiniste, comptable, architecte ; il faut être un homme universel pour administrer une plantation. Pendant les épidémies, j’ai vu cet hôpital si encombré que nous refusions les malades. Dans ce moment-ci, vous n’y voyez guère que quelques vieux serviteurs à qui nous donnons leurs invalides. — Eh ! bonjour, tio Barnabé, ajouta-t-il en se tournant vers une figure maigre accroupie sous la porte, et qui nous regardait passer sans rien dire, comment vas-tu, mon vieil ami ? » Le personnage qu’il interpellait de la sorte était un vieil Africain d’un noir de jais qui se tenait assis par terre les jambes croisées, tout nu, chauffant au soleil son corps décharné, et dont l’immobile visage de bronze, ombragé d’une laine blanche ébouriffée, nous suivait d’un regard fixe et impassible. Il inclina la tête, répondit quelques humbles paroles, puis il reprit sa posture fière et grave. « Voilà, continua mon guide, le patriarche de la plantation. Il est au moins centenaire. Vous voyez quelle est sa vie : dormir et se chauffer au soleil. Il est parfaitement heureux ; l’intelligence ne le tourmente guère. C’est