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de la pauvre Lydia Weston en vous la représentant ainsi, dans les longs couloirs de Millbank à peine éclairés, l’œil et surtout l’oreille au guet, cherchant à surprendre dans le moindre trouble de respiration un indice de maladie, arrêtant ces mystérieuses correspondances que les prisonnières établissent d’une cellule à l’autre par le moyen des signaux les plus ingénieux, ou bien encore échangeant quelques mots, à travers la double porte d’un cachot, avec une pauvre femme que fuit obstinément le sommeil. De temps à autre, — c’est la consigne, — il faut pousser jusqu’aux dark-cells, les cachots de cette prison, les cryptes obscures où les plus indomptables, les plus farouches de ces créatures perverties, après avoir mis en pièces le mobilier qu’on est obligé de leur laisser, réduit en charpie les draps de leur lit, tordu les tuyaux de gaz, fait voler en éclats le vitrage de la fenêtre qui leur donne le jour et l’air, enfin après avoir lutté contre les subalternes appelés pour venir à bout de leur résistance obstinée, ont été traînées, furieuses encore et pantelantes, épuisées de cris, énervées, inertes, l’écume et l’injure aux lèvres, dominées par on ne sait quelle fièvre bestiale. Même là il faut veiller sur elles, s’assurer que le délire dont elles sont la proie ne les emporte pas jusqu’au suicide, écouter leurs plaintifs hurlemens assourdis par l’épaisseur des murs, démêler dans leurs rauques imprécations les menaces qui méritent qu’on y prenne garde, et, parmi ces chants qu’elles entonnent d’une voix enrouée, surprendre au besoin les indices de quelque dangereux complot, — parfois, en échange d’un conseil amical, recevoir une volée de blasphèmes ou d’obscénités, — parfois, si la fatigue ou quelque bon mouvement vient à notre aide, obtenir quelques instans de silence, un retour de calme, un essai de sommeil.

Je me demande çà et là, comparant ces longues nuits sans repos à celles que je passais sous le toit fleuri du prieuré, si je ne suis pas le jouet de quelque hideux cauchemar, si ce fantôme errant qui, du soir au matin, sans fin ni trêve, à pas comptés et muets, épiant, écoutant, devinant, tour à tour effrayé, attristé, rebuté, parcourt à la façon des spectres les longs corridors et les vastes cours de cette demeure agrandie par les ténèbres, je me demande encore une fois si ce fantôme est bien Lydia Weston, l’enfant chérie que vous avez connue, la reine du foyer de famille, le « doux trésor, » — comme disait ma mère, — dont le sourire était une fête, et le bonheur une loi suprême à tous imposée… Adieu, mon ami, mon lointain ami ! .. Je ne serais ni si triste, ni si affectueuse, si ces lignes ne devaient aller vous chercher à quinze cents lieues d’ici. En supposant qu’elles partent, vous les recevrez dans trois mois au plus tôt, et vous pourrez vous demander en les lisant si ces