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il lui exprima avec une amertume passioninée son amour et l’irritationjalouse qui l’agitait depuis le matin. Il lui dit combien le bonheur des nouveaux mariés lui faisait mal, lorsqu’il songeait au temps où Lucile avait la libre disposition d’elle-même. Il y avait eu une heure où il aurait pu lui parler d’amour sans remords, comme Sylvain à Simonne, et il n’avait pas su la saisir, et cette heure ne reviendrait jamais ! Il ne goûterait jamais ce bonheur pur, il ne posséderait jamais Lucile !… — Ah ! comme je vous aime malgré toute ma souffrance ! s’écria-t-il en serrant soudain le bras de la jeune femme.

Ces paroles frémissantes, loin de rassurer Lucile, redoublèrent encore son embarras ; elle tremblait d’être rencontrée dans cette obscurité seule avec Maurice, et elle le pria de la laisser rentrer au logis. Il ne répondit pas ; il continuait à lui étreindre le bras avec une sourde violence.

— Maurice, murmura-t-elle d’une voix suppliante, je vous en prie, soyez plus calme… Laissez-moi, vous me faites mal !

— Oui, vous avez raison, dit-il, je suis fou !

Il lui rendit la liberté et s’enfuit loin des Palatries.

Peu de temps après la noce, Simonne vint se fixer aux Ages avec Sylvain, et M. Désenclos partit pour l’Angoumois, où il devait faire un séjour de plusieurs semaines. Lucile le vit s’éloigner avec un sentiment d’inquiétude ; dans la situation d’esprit où elle se trouvait depuis la visite de Chantepie, elle craignait de rester seule à la maison. Elle avait peur de tout : de Jacques, de Maurice et d’elle-même. Aussi céda-t-elle facilement aux instances de Mme  de Labrousse, qui la pressait d’accepter chez elle l’hospitalité pendant un mois. Elle alla immédiatement s’installer avec ta fille à la Commanderie.

L’automne était venu, un de ces magnifiques automnes comme on en voit souvent dans l’ouest. Les raisins mûrissaient sur les treilles, les poiriers inclinaient jusqu’à terre leurs branches lourdes de fruits, et sur les chemins on faisait pleuvoir les noix à coups de gaule. Le ciel, d’un bleu soyeux, légèrement voilé de brumes argentées à l’horizon, n’avait plus la limpidité des journées d’août ; la nature, dans sa pleine maturité, s’alanguissait déjà, comme une mère que des couches trop fécondes ont épuisée, et qui, lasse et pâlie, s’éteint au milieu d’un groupe de robustes enfans.

Quel charme d’errer librement avec Lucile, par ces lumineuses journées de septembre, sous les châtaigniers de la Commanderie ! La seule pensée de ces promenades enchantait Maurice. Dès qu’il connut l’installation de Mme  Désenclos chez la veuve, il se hâta de se présenter dans le salon de Mme  de Labrousse. Celle-ci commen-