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que je connais… Je n’ai point de chance, moi, et, une fois marié, je trouverais un beau soir la Simonne se promenant dans les bois avec un damoiseau… Vous avez raison, n’en parlons plus !.. Je ne vous en remercie pas moins, monsieur Désenclos ; vous avez toujours été bon pour moi, vous… Mais ce soir je ne suis point en humeur de causer… Pour lors adieu !

Il leur tourna brusquement le dos et disparut dans la nuit. Il était temps, Lucile sentait le cœur lui manquer ; elle fit quelques pas, poussa un long soupir et se laissa tomber sur un banc. — Qu’as-tu, mignonne ? fit M. Désenclos effrayé.

— Rentrons, dit-elle toute frissonnante, cet homme m’a fait peur.

Chantepie, en quittant les Palatries, s’enfuit à travers champs. Quand il fut au sommet du coteau, au milieu des chaumes qui dominent la vallée, il s’assit sur une borne et tendit le poing dans la direction des Ages. À ce geste, son chien, qui s’était couché près de lui, se redressa et poussa de longs aboiemens. — Malheur ! grommela Jacques, le guignon ne me lâchera pas, c’est dit ! Il enfonça son front dans ses mains. Le sang lui montait à la gorge, tandis que des pensées de violences confuses tourbillonnaient dans son cerveau. Il voulait se venger à tout prix, mais comment ? Révéler à M. Désenclos la trahison de sa femme ? Non, il aimait trop le cueilleux d’herbes pour lui briser le cœur. Il fallait trouver autre chose. Il resta longtemps plongé dans une morne méditation. — Oh ! dit-il en se levant enfin, je me creuserai tant la tête que je trouverai une idée, et le jour où je la tiendrai, je l’exécuterai, j’en jure mon baptême !

V.

Les noces de Sylvain et de Simonne avaient été fixées à la Saint-Louis. Ce jour, impatiemment attendu par la meunière et par son fils, arriva enfin. Dès le matin, les deux violoneux de Savigné vinrent avec les garçons d’honneur chercher le marié et sa mère. Maurice était de la fête ainsi que M. et Mme  Désenclos, car la noce se faisait aux Palatries. Cette journée devait être pour lui une longue souffrance. Dès le premier pas qu’il fit sur le seuil des Palatries, il sentit sa peine redoubler. Il lui fallut tout d’abord serrer la main de M. Désenclos et subir le cordial accueil d’un homme dont il allait troubler le bonheur domestique. Il vit pour la première fois Lucile chez elle, dans ce doux royaume où tout respirait le bien-être et la joie ; un pénible sentiment de jalousie et de honte s’empara de lui et ne le quitta plus. Tout ce luxe, ces fleurs rares, ces