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essayer de lui expliquer les motifs de sa conduite, mais elle l’arrêta dès les premiers mots : — Laissons cela, dit-elle, vous ne me devez aucun compte de vos actions.

— Ah ! s’écria-t-il douloureusement, vous ne voulez donc pas me comprendre !

Elle releva vers lui ses yeux brillans. — Je comprends une chose, dit-elle avec cette vivacité qui lui était ordinaire, c’est que vous vous plaisez à me faire de la peine.

— Je souiïre plus que vous, répondit-il. — Elle garda le silence, mit la main sur ses yeux et détourna la tête. — Lucile, ajouta Maurice, laissez-moi vous parler raison !… — Il lui prit la main et la trouva moite de larmes. — Chère enfant, poursuivit-il tout ému, je vous suis plus attaché que vous ne pensez !…

Lucile continuait à détourner la tête et à verser des larmes sans parler. Son cœur était gonflé et près d’éclater. Maurice se pencha doucement vers elle, et ses lèvres se trouvèrent alors si près des cheveux de la jeune femme qu’il ne put résister à la tentation d’y déposer un baiser. — Songez, murmurait-il d’une voix tremblante, songez que le monde est terrible ; si nous nous revoyons, on ne croira pas à notre amitié : on dira que c’est de l’amour…

Elle tressaillit, se retourna vivement vers lui, et le sentiment longtemps comprimé en elle fit explosion — Eh bien ! s’écria-t-elle, on dira vrai… Je vous aime toujours !

Et rouge de confusion, palpitante, les yeux encore pleins de larmes, elle s’enfuit vers les Palatries, ouvrit précipitamment la porte du jardin et disparut…

Le lendemain, Maurice écrivait à son ami Hubert une longue lettre ; il avait besoin de parler de son amour et d’épancher son cœur.

« Je t’avais annoncé mon prochain départ, lui disait-il ; je ne partirai pas. Tout est changé, mon ami ! Le ciel est bleu, le monde est beau ! Elle m’aime, Lucile m’aime !… Je ne devrais pas le dire, je devrais le taire, — à toi surtout ; mais mon bonheur m’étouffe, et il faut que je parle. Ne me fais pas de morale, c’est inutile. Je l’aime, et le monde entier me crierait que j’ai tort, que je ne l’écouterais pas. — Ne la blâme pas ; son amour sincère est plus honnête que la réserve de bien des femmes qui se croient vertueuses. Si tu avais pu la contempler hier, à la nuit, dans ce petit chemin vert des Palatries ; si tu avais entendu sa voix frémissante, si tu avais vu ses yeux bruns briller tout humides à la clarté des étoiles ! Elle pleurait ! Chères larmes ! quand elles ont coulé, j’ai senti que ma vie tout entière lui appartenait… Non, je ne partirai pas ; je resterai près d’elle, dans ce beau pays, dans cette douce vallée de