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Et je lui montrais l’escabelle fatale aux pieds du sacrificateur.

— Comment ? comment ? se récriait la nouvelle épousée ; mais ces cheveux ne sont pas à moi,… ils appartiennent à mon mari.

Que direz-vous de ce cas de conscience, de cette foi naïve avec laquelle la bonne vieille plaçait sous la protection des lois sa poignée de cheveux gris, inviolable propriété d’un époux absent ?

Croyez bien qu’on n’avait pas grand’chance de lui faire entendre raison. Il fallut, pour la convaincre que mon inexpérience ne me trompait pas, mander en personne le gouverneur de Millbank, qui prit la peine de lui expliquer la question au point de vue légal ; puis, le gouverneur sorti et les cheveux enfin coupés, elle protestait encore énergiquement qu’un fidèle rapport aux directeurs de l’établissement lui ferait obtenir justice d’un procédé aussi odieux.

Je me retournai, encore égayée, vers la seconde des nouvelles venues, et alors toute envie de rire me quitta. C’était une très jeune femme, — belle encore, quoique prématurément flétrie, — et dont l’épaisse chevelure blonde me rappelait par ses reflets fauves celle de ma pauvre sœur Elisabeth. Elle me regardait fixement, et ses yeux gris semblaient vouloir scruter mes plus intimes pensées. Il y avait à la fois dans ce regard étrange une sorte de candeur sauvage et de subtilité diabolique ; on y devinait une nature inculte et passionnée, ignorante de la vie que mènent les honnêtes gens, et développée dans une atmosphère malsaine. Son assurance n’était pas effronterie ; elle semblait me jeter un défi sans haine et me traiter en étrangère plutôt qu’en ennemie. Dans son silence, il y avait aussi de la timidité. Je crûs comprendre que cette Écossaise, déjà raillée pour son accent du nord, ne se souciait pas d’attirer sur elle de nouveaux sarcasmes, et je lui en voulus presque de ne pas deviner que je ne m’en permettrais aucun ; mais comment s’en serait-elle doutée ? Peut-être cependant lut-elle sur mon visage un certain attendrissement dont je ne pouvais me défendre en la regardant et en songeant à la chère sœur défunte que venait de me rappeler cette chevelure sur le point d’être fauchée. Elle s’assit sans dire mot, me regardant toujours, l’œil humide, les lèvres serrées, et quand le coiffeur se baissa pour ramasser la gerbe d’or étalée à ses pieds : — Eh bien ! me dit-elle, eh bien ! après ?… A quoi bon ?

A quoi bon effectivement ? me répétai-je in petto. Pourquoi cette odieuse aggravation de peine ? Que gagne-t-on à jeter dans ces âmes déjà révoltées une rancune de plus, la plus futile peut-être, mais la plus amère de toutes ?… Sans rien laisser percer de ces pensées contraires à la discipline, je lisais attentivement les notes à transcrire sur le registre : « Jane Cameron, née à Glasgow, d’une famille mal notée ; deux condamnations antérieures ; enfermée cette