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Pourquoi n’êtes-vous pas venu aux Palatries ?… Votre oubli m’a fait de la peine.

— Je ne vous ai pas oubliée, répondit-il, mais l’accueil que vous m’avez fait à la Commanderie m’a effrayé ; j’ai pensé que ma visite pourrait vous déplaire.

— Pourquoi ?… demanda-t-elle en tournant tout à coup vers lui ses beaux yeux si expressifs.

Maurice sentait son cœur battre et sa tête tourner, il avait les lèvres ouvertes pour répondre : « Parce que je vous aime et que vous n’êtes plus libre ;… » mais il fut retenu par un sentiment de délicatesse et par le souvenir de ses sages résolutions. La danse suspendit leur entretien, et quand ils se retrouvèrent l’un près de l’autre, ils restèrent de nouveau silencieux. Pourtant au moment où le quadrille allait finir, Lucile, impatientée du mutisme de Maurice, lui demanda s’il était vrai, comme on le prétendait, qu’il eût l’intention de quitter les Ages ?

— Oui, répondit-il, je retournerai à Paris dans quelques jours. Elle le regarda d’un air de reproche. — Ainsi, dit-elle, vous ne seriez pas venu me voir… Après cinq ans !… Elle prononça ces paroles avec un tel accent de tristesse que Maurice n’y put résister.

— Eh bien ! s’écria-t-il, je vous promets de ne point partir sans vous faire mes adieux.

— Adieux ?… Ne dites pas ce vilain mot ! Oui, sérieusement je compte sur votre visite. J’aurai tant de plaisir à causer du bon vieux temps ! Quand vous verrai-je ?

Maurice ne répondit pas immédiatement. La pensée de revoir Lucile aux Palatries, l’idée d’une présentation à M. Désenclos lui causaient un secret déplaisir et le retenaient. — N’allez-vous plus jamais, dit-il enfin, vous promener du côté des roches de Chaffaux ? — Et sur sa réponse affirmative il reprit après un moment d’hésitation : — Si vous le vouliez, nous referions ensemble ce pèlerinage au premier jour.

— Ce serait charmant, s’écria-t-elle étourdiment, allons-y dès demain !…

Elle avait à peine achevé qu’elle regretta de s’être engagée si vite ; c’était presque un rendez-vous qu’elle venait de donner à Maurice. Elle comprit son imprudence et voulut se dédire ; mais elle pensa en même temps que Maurice verrait dans son refus une marque de défiance et s’offenserait de nouveau. D’ailleurs où était le danger ? N’avait-elle pas, lorsqu’elle était jeune fille, fait maintes fois cette promenade avec lui ? N’emmènerait-elle pas Madeleine avec elle ? Enfin Maurice n’allait-il pas quitter les Âges ? La con-