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et lui échappe. Dans son tableau, car c’en est un, il y a des creux et des saillies, il y a des figures qui se détachent du fond d’autres qui s’y collent et cherchent à y disparaître ; mais il n’y a ni air, ni espace, ni profondeur, ni lointain. A quoi bon, s’il en est ainsi, courir cette aventure ? Répondra-t-on que certains maîtres ont vaincu la difficulté ? Alléguera-t-on l’exemple mémorable de Ghiberti et ses portes admirables du Baptistère de Florence ? Nous convenons sans hésiter que c’est là un prodige de génie, nous goûtons autant que personne la beauté exquise de ces figures pleines d’élégance, de vie, de mouvement, de souplesse ; toutefois nous posons hardiment aux artistes et aux amateurs sincères cette question : Dans ces bas-reliefs si célèbres y a-t-il de la profondeur, de l’espace, de l’air, au sens pittoresque de ces termes ? — Non, il n’y en a pas ; Ghiberti lui-même n’a pas résolu le problème, nul jamais ne le résoudra. Devant cette impossibilité esthétique, le génie doit s’incliner. C’est ce qu’a fait Jean Goujon en sculptant les bas-reliefs de la fontaine des Innocens, c’est ce que faisaient les artistes grecs. L’esthétique explique et justifie leur conduite, et leur exemple mérite de faire loi.

Sur tous ces points importans, l’Esthétique appliquée de M. D. Sutter pose de bonnes règles habituellement fondées en raison et ramenées à de solides principes. A l’égard de l’architecture, il montre beaucoup de savoir et émet certaines vues qui ne manquent pas de nouveauté, Il est toutefois des opinions très ingénieuses, peut-être même vraies au fond, qui, énoncées sommairement et affirmées sans preuves, excitent la méfiance du lecteur et semblent n’être que des paradoxes ou des écarts de fantaisie théorique. Que, par exemple, les lignes droite, courbe, verticale, horizontale, aient en sculpture et en architecture une signification caractéristique, cela est possible et offre à l’esprit un curieux sujet d’analyse esthétique. On ne demanderait pas mieux que d’en chercher les raisons, on aimerait même, dans un tel livre, à en rencontrer les raisons clairement déduites des principes qui les contiennent ; mais on résiste involontairement à des maximes qui viennent brusquement, sans préparation ni démonstration, comme celles-ci : « La ligne verticale exprime dans son caractère moral la puissance divine ou humaine, les aspirations religieuses, la foi, l’espérance, de même que la grandeur, la noblesse, la majesté du commandement. » — « La ligne horizontale est particulièrement affectée à la matière. » De bonne foi, voilà des choses qui ne sont pas évidentes, loin de là. En multipliant de semblables assertions, on éveille trop de doutes, on court risque de fournir des armes aux adversaires d’une science jeune encore, dont l’utilité pratique est