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de doute la nécessité d’introduire dans l’enseignement de la peinture et d’y établir théoriquement tout ce qui est susceptible d’être fondé sur des raisons scientifiques et philosophiques. Les artistes qui ont un don particulier, une faculté spéciale et saillante, s’égarent avec une déplorable facilité. Un succès éclatant remporté au début de la carrière, l’attention du public soudainement captivée, les espérances et l’approbation des connaisseurs hautement exprimées, les éloges de la critique lasse de blâmer et avide de rencontrer enfin quelque juste sujet d’admiration, enivrent et surexcitent le talent trop peu maître encore de lui-même, et, au lieu de le tenir en équilibre en le dirigeant, le font tomber bientôt du côté où il penche. Le nouveau-venu promet-il d’être un coloriste, a-t-il, comme on dit, une note heureuse et brillante, aussitôt c’est à qui vantera la puissance de son tempérament pittoresque. On parlé de génie, on crie miracle. Au bout de peu d’années, la tête tourne au jeune artiste : il met partout sa fameuse note, il y sacrifie insensiblement la correction du dessin et le souci de la composition, et finit par déconcerter ses partisans, qui se changent, trop tôt peut-être, en adversaires. A qui persuadera-t-on que ce peintre a été suffisamment instruit et guidé par son tempérament ? A qui fera-t-on croire qu’une connaissance plus profonde et plus raisonnée des lois qui régissent l’emploi de la couleur ne l’eût pas préservé d’un pareil abus de ses aptitudes naturelles ?

Il existe en effet de telles lois qui déterminent l’usage non-seulement de la lumière en général, mais encore jusqu’à un certain point de telle ou telle couleur particulière dans un cas donné. Sans doute les couleurs naturelles, du moins les couleurs primitives, sont belles par elles-mêmes avant toute application pittoresque ; elles sont déjà belles sur la palette du peintre comme sur les zones de l’arc-en-ciel : nous l’avouons aujourd’hui franchement après l’avoir autrefois nié ; mais dans le ciel ou sur le spectre solaire les couleurs primitives ne sont belles qu’en tant qu’elles manifestent vivement la puissante énergie d’un des agens les plus merveilleux du monde physique. Or exprimer cette puissance, quelque séduisans qu’en soient les effets, n’est pas le but unique de la peinture. Transportée du ciel sur la terre, de la palette sur un tableau, la couleur n’est plus une fin, c’est un moyen, et le moyen ne doit ni prendre la place, ni usurper l’importance du but poursuivi. Et parler ce langage, c’est rentrer dans l’ordre des considérations purement esthétiques.

Il y a plus encore. M. Sutter a exprimé cette opinion que « le degré de puissance des couleurs signalé par la décomposition de la lumière blanche indique leurs propriétés naturelles et leur