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qui enregistre et consacre cette opinion. De leur côté, les artistes souscrivaient à ce jugement, témoin ce passage d’un livre perdu de l’architecte Pytheus, qui vivait au IVe siècle avant Jésus-Christ : « L’architecte doit pouvoir exceller dans tous les arts et dans toutes les sciences. » Il répugnait à ces fortes et libres intelligences de se cantonner timidement dans un petit recoin du domaine des arts au risque d’y étouffer. Il leur fallait l’air pur, l’espace illimité, les vastes horizons du ciel de la pensée. Léonard de Vinci, Raphaël, Michel-Ange, étaient du même avis, parce qu’ils étaient de la même noble race, sinon du même pays. Ceux-ci, comme leurs ancêtres grecs, croyaient à la beauté idéale, à la nécessité de la concevoir par la raison et de la chercher dans le monde invisible, lorsque la visible réalité leur en refusait le modèle. Comme leurs ancêtres grecs, ils ajoutaient les conseils d’une science profonde, exacte et variée aux inspirations de leur génie, et se gardaient de placer en leur instinct toute leur confiance. Ouvriers admirables, ils savaient obéir à des règles techniques et fonder celles-ci sur des principes de haute théorie. C’est ce que prouvent leurs ouvrages, leurs écrits, leurs discours, les fragmens de leur correspondance. L’impulsion qu’ils ont donnée aux arts plastiques a démontré qu’ils avaient eu raison. L’étroite liaison qui existe entre l’esthétique spéculative et la partie technique des arts du dessin ne le prouve pas moins.


II

Lorsque dans un salon un philosophe essaie une définition du beau ou du sublime, et que tout près de lui un savant discute une question de perspective linéaire ou expose les lois de la réfraction des rayons solaires, au premier aspect on ne devine guère ce qu’il y a de commun entre le propos de l’un et celui de l’autre, et on ne prévoit pas que les idées du premier puissent rejoindre quelque part les connaissances géométriques et expérimentales du second. Ils se rencontreront cependant à coup sûr, pourvu qu’ils continuent leur route. Le livre de M. Sutter marque très bien l’endroit où s’opérera infailliblement la jonction ; mais on regrette de n’y pas trouver plus clairement indiquées les raisons esthétiques qui rendent cette jonction naturelle, logique et inévitable. Ces raisons en effet ne sautent pas aux yeux du premier venu, et tant qu’elles n’auront pas été mises en évidence, les intimes rapports de l’art et de la science, les liens étroits de la théorie spéculative et de la pratique seront contestés ou niés.

Il faut donc essayer de démêler ces raisons. Par exemple, l’emploi que fait le peintre des ressources de la perspective linéaire et