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constitution, dans notre organisme, l’animal est plus près que l’homme proprement dit des puissances physiologiques : l’homme sera donc avant tout un animal ; la belle jeune fille avec sa fraîcheur, son charme et, sa grâce sera le plus beau de tous les animaux. Ce qui distingue l’animal, c’est l’instinct ; dans l’homme-animal, l’instinct, avec ses tendances irrésistibles et ses spontanéités violentes, expliquera tout l’homme. Cet instinct, il le recevra de sa race ; le sol nourrira cette force organique, le climat réchauffera plus ou moins, les luttes de la vie l’exalteront. Parvenue à son plus haut degré de développement, cette force sera le génie : ses effets ou, comme on dit, ses produits seront les sciences et les arts. Si tel est le génie, qu’a-t-il besoin de règles, de traités théoriques, de manuels d’esthétique ? Sa règle est en lui, naît avec lui, et n’est que la loi secrète de sa vitalité interne. Il crée ses œuvres naturellement en vertu de cette vitalité mystérieuse et infaillible. Que la science constate et détermine la loi que suit cette force à ses diverses phases de travail et d’effort, à la bonne heure ; mais qu’elle espère la diriger, l’éclairer, la modifier, la contenir quand elle s’emporte, la ranimer quand elle languit, c’est la plus décevante des illusions. Tous les conseils de l’esthétique se réduisent aux deux prescriptions suivantes : — Êtes-vous jeune et plein de sève, laissez faire votre sève ; elle fructifiera d’elle-même. Êtes-vous vieux, décrépit, sans énergie et sans chaleur vitale, résignez-vous à la stérilité. Encore ces deux avis sont-ils inutiles, car la jeunesse du génie fleurira bien sans qu’on s’en mêle, et sa vieillesse aboutira, quoi qu’on fasse, à l’impuissance et à la mort.

On ne prétend pas que la doctrine dont il s’agit ici accepte toutes ces conséquences de son principe. On est même convaincu qu’elle les repousse ; mais la logique a, elle aussi, son déterminisme, et elle oblige bon gré, mal gré, ceux qui l’invoquent à outrance à subir la loi fatale qu’ils invoquent invariablement, et qu’ils déclinent en vain lorsqu’ils sont eux-mêmes en cause. Ils n’ont qu’un seul moyen d’échapper aux conclusions de leur système : c’est de reconnaître que le génie de l’artiste, à le considérer dans son essence psychologique, n’est nullement un instinct.

Qu’est-il donc ? La réponse à cette question n’est pas indifférente, puisque, ainsi qu’on vient de le voir, selon l’idée que l’on se forme du pouvoir créateur dans les arts, l’esthétique est ou n’est pas. Sans hasarder une de ces définitions qui n’apprennent pas grand’chose ; et sur lesquelles on discute indéfiniment, nous pouvons du moins distinguer le génie de l’instinct en indiquant les caractères absolument opposés qu’ils affectent dans leur façon d’agir ou de produire. Il eût été souhaitable que M. Sutter fît cette