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Aussi n’accorderons-nous qu’une attention bien secondaire à une œuvre de même nature qui se poursuit aujourd’hui, à travers mille obstacles, dans les régions froides du détroit de Behring. Depuis longtemps, le gouvernement russe a entrepris d’exécuter une ligne télégraphique à travers les steppes glacés de la Sibérie. Le fil s’étend entre Pétersbourg et Kiachta, petite ville sur les frontières de la Chine ; on se préoccupe, dit-on, de le prolonger au sud jusqu’au golfe de Petcheli, ce qui mettrait Pékin en correspondance avec l’Europe. Vers l’est, la ligne atteindra Nicolavefsk, port militaire d’une grande importance à l’embouchure de l’Amour. Tels sont les projets du gouvernement russe ; mais une compagnie américaine est venue lui proposer de donner à cette ligne une extension bien autrement considérable. Il ne s’agit de rien moins que de relier. Nicolavefsk à San-Francisco, en Californie, en passant par le nord. A partir de l’embouchure de l’Amour, on se dirigerait vers la baie de Penjinsk, soit en contournant par terre la mer d’Okhotsk, soit en la traversant par un câble sous-marin. De cette baie au golfe d’Anadyr, le parcours serait terrestre, et ce sera là sans doute l’une des portions les plus pénibles à établir. Au-delà, la ligne redevient sous-marine, en touchant les îles de Nounivak et de Saint-Mathieu, pour accoster l’Amérique au fond du golfe de Norton. La distance maritime serait plus faible en remontant davantage vers le nord ; mais la rigueur du climat est telle que le travail n’y serait praticable que pendant trois mois de l’année. Une fois sur le continent américain, on redescend au sud sans beaucoup s’écarter de la côte ; on touche à Sitka, capitale de l’Amérique russe, à New-Westminster, sur les bords de la rivière Fraser, et l’on aboutit enfin à Victoria, dans la Colombie anglaise. Cette dernière ville est déjà reliée à San-Francisco, et par conséquent à toutes les villes des États-Unis jusqu’à la côte de l’Atlantique.

Ce projet, peut-être trop grandiose, est passé depuis deux ans à la période d’exécution. Les chefs de l’entreprise ont mené quelques centaines d’ouvriers sur les côtes désertes de l’Amérique anglaise, au nord de l’île de Vancouver. Ils n’y ont rencontré que des petits forts et des stations de commerce appartenant à la compagnie de la baie d’Hudson ; vivres et matériel, ils ont tout à apporter du dehors et tout à transporter avec leurs seules ressources. En même temps qu’une entreprise commerciale et patriotique, c’est aussi un voyage de découvertes à travers un pays inconnu. On crée des villes auxquelles on a la satisfaction de donner son nom ; on cherche des mines d’or qui seraient une précieuse découverte, à ce point de vue surtout qu’elles attireraient de nombreux aventuriers dont le concours ne pourrait être qu’utile. Les travaux avancent-ils vite ? Ne se heurtera-t-on pas à des obstacles insurmontables dans les