Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 65.djvu/537

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

opération analogue. Cependant un grappin en fer, attaché à une longue chaîne, fut jeté à l’eau, et le bâtiment se mit à courir de petites bordées sur la ligne présumée du câble englouti. Trois fois le grappin raccrocha le câble, mais trois fois aussi, tandis qu’on le hissait à la surface, la corde fut rompue par la tension considérable qu’elle éprouvait. M. Canning acquit la certitude que l’opération ne réussirait qu’avec un outillage mieux disposé, qu’il était impossible d’improviser à bord du Great-Eastern. Les trois bâtimens de l’expédition se séparèrent et revinrent en Angleterre.

Telle fut pour l’année 1865 l’issue de cette grande entreprise : 1,200 milles de câble, une valeur de 8 millions de francs, étaient abandonnés sur le sol de l’Océan ; mais l’insuccès n’était que momentané, et les circonstances mêmes de cet échec prouvaient d’une manière évidente la possibilité de réussir. Les ingénieurs trouvaient que le câble ne laissait rien à désirer sous le rapport de l’isolement et de la solidité. La machinerie d’émission pour la mise à l’eau était jugée parfaite. L’appareil de relèvement exigeait seul de nouveaux perfectionnemens. C’était enfin le sentiment unanime qu’aucun navire n’était mieux approprié que le Great-Eastern à un pareil travail. Très stable sur l’eau même par de gros temps, facile à gouverner, il avait, outre une énorme capacité, d’excellentes qualités qu’on eût vainement cherchées ailleurs. Tandis que le vulgaire, auquel le résultat importe seul, désespérait du succès, les initiés n’avaient jamais eu plus de motifs de poursuivre leurs premiers projets. Quelques-uns des assistans paraissaient même persuadés que les déplorables accidens survenus pendant la mise à l’eau étaient dues, non à des causes fortuites, mais à la malveillance. On répugnait à croire que les petits bouts de fil de fer trouvés dans l’enveloppe du câble y fussent entrés par hasard, et l’on accusait l’un des manœuvres de les y avoir enfoncés à dessein. Ces soupçons ne reposaient au reste sur aucune base certaine ; mais l’événement leur donnait une apparence de probabilité.

Après cette catastrophe, on ne fut pas longtemps à savoir ce que prétendait faire la compagnie du télégraphe transatlantique. Son conseil d’administration se réunit aussitôt et fit connaître qu’il était parfaitement résolu à terminer la communication entre les deux continens. La saison était trop avancée pour rien entreprendre avant la fin de l’année ; mais on annonçait l’intention de faire fabriquer un nouveau câble du même modèle pendant l’hiver, de le poser au printemps de 1866 et en outre de reprendre au fond de la mer le câble rompu, qui serait prolongé jusqu’à Terre-Neuve. Cette dernière opération était peut-être plus aléatoire encore que l’immersion d’un nouveau conducteur, car tout le monde avait peine à croire que l’on pût retrouver un si frêle objet perdu dans