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pour se rendre sur la côte d’Irlande, escorté par deux bâtimens de la marine royale, le Terrible et le Sphinx, La grosse portion, que l’on appelle shore-end, fut immergée sans embarras entre le rivage et les fonds de 200 mètres ; puis le bout en fut soudé au câble des grandes profondeurs, et le navire géant se mit en route avec une vitesse de cinq à six nœuds. Pendant la nuit, lorsqu’on n’était encore qu’à 84 milles de la terre, les électriciens s’aperçurent qu’un défaut était survenu dans l’isolement du conducteur, et que ce défaut était assez grave pour qu’il fût imprudent de continuer l’opération avant de l’avoir réparé. On se décida donc à relever la partie immergée jusqu’à la rencontre de l’endroit défectueux qui était présumé distant de 10 milles. Après une journée entière accordée à cette pénible et dangereuse opération, on découvrit enfin un fragment de fil de fer, taillé en pointe, qui avait traversé l’enveloppe protectrice et pénétré la gutta-percha. Cette légère blessure, si insignifiante qu’elle paraisse, eût cependant suffi pour perdre le câble entier. La réparation fut bientôt faite, et la marche en avant fut reprise. Cinq jours durant, il ne survient rien d’extraordinaire ; le précieux cordage se déroule paisiblement à l’arrière du navire. On se félicite déjà d’avoir si bien réussi ; on admire la façon dont le câble se comporte à la mer et la facilité avec laquelle s’effectue l’immersion ; mais une seconde interruption se produit tout à coup. Le câble est relevé de nouveau jusqu’à la rencontre de l’endroit endommagé ; c’était encore un bout de fil pointu introduit dans l’enveloppe. Ceci réparé, la marche reprend, et deux jours se passent sans encombre. Le 2 août survient une troisième interruption ; et tandis que l’on repêche le câble afin d’y remédier, les freins se déplacent, la machine à vapeur stoppe par accident, le câble se rompt tout à coup à l’arrière, et l’extrémité disparaît dans l’Océan. Le Great-Eastern avait alors accompli les deux tiers de son voyage, il se trouvait à 1,062 milles de Valentia et à 601 milles de Heart’s Content. Tant que le câble avait été en bon état, des correspondances s’échangeaient à chaque instant entre la côte d’Irlande et les voyageurs. Chacun était au courant des péripéties et des progrès de l’opération. Après l’accident, on fut quinze ou vingt jours sans entendre parler du navire. Le bruit courut même qu’il s’était perdu corps et biens. Lorsqu’il reparut enfin sur la côte d’Angleterre, on apprit ce qu’il avait fait pendant cette période de temps. Aussitôt après la rupture survenue en pleine mer, l’ingénieur qui dirigeait l’immersion, M. Canning, résolut de draguer le fond afin d’accrocher le câble et de l’amener à la surface. On se figure sans peine combien cette tentative était incertaine, puisque l’Océan avait à coup sûr plus de 4,000 mètres de profondeur, et qu’il n’y avait pas d’exemple qu’on eût jamais accompli avec succès une