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terre à Jaffa. Voilà l’itinéraire qui vous mène en moins de quinze jours de Londres ou de Paris sur les côtes de la Palestine[1]. Les étapes en sont fixées d’avance avec la ponctuelle exactitude d’un service régulier qui ne laisse rien d’imprévu aux hasards du voyage : tout au plus, si la saison est défavorable, le touriste sera-t-il forcé de passer devant Jaffa sans s’y arrêter et de n’atterrir qu’à Saint-Jean-d’Acre, à l’ombre du Mont-Carmel ; mais à peine a-t-il mis le pied en Terre-Sainte qu’il peut prendre, s’il lui convient, les allures d’un voyageur de l’ancien temps. Au port de débarquement, ou de préférence à son passage par Alexandrie, il engagera un drogman qui se charge à prix convenu de fournir les chevaux et les bêtes de somme, les vivres et les tentes, en un mot tout ce qu’il faut pour voyager avec aise et commodité en un pays où il n’y a ni routes, ni voitures publiques, ni hôtelleries. Tout à la fois pilote et cicérone, cet homme organise une caravane, la dirige et la ravitaille, veille à tout, connaît les meilleurs lieux de halte en guide expert qui y est déjà passé plus d’une fois, s’entend au besoin avec les maraudeurs arabes auxquels il prendrait fantaisie de lever tribut sur les voyageurs qu’il patronne. Il sait associer les attrayantes fatigues d’une excursion à travers le désert avec la sécurité et le confortable des pays civilisés. Rien qu’à cette heureuse combinaison des mœurs patriarcales et des habitudes européennes, on devine que beaucoup d’Anglais visitent la Palestine. L’art de guider les voyageurs y est devenu une industrie.

En quel pays au monde plus qu’en Palestine s’accommoderait-on volontiers de ces pérégrinations lentes et vagabondes à travers monts et vallées ? Ce n’est pas là une contrée qu’on veut parcourir à vol d’oiseau ; la course rapide d’un chemin de fer ne laisserait que des regrets ; sur les coussins mal rembourrés d’une voiture, on craindrait de n’avoir qu’un coup d’œil négligent pour les points les plus remarquables de la route. À cheval et à petites journées, on savoure en détail les souvenirs que réveille chaque endroit de cette terre privilégiée. De la Méditerranée à la Mer-Morte, de Jérusalem à Samarie, il n’est pas une montagne, une fontaine ou un ruisseau qui ne se rattache en quelque point aux faits les mieux connus de l’histoire sacrée. Le paysage évoque ces souvenirs, l’imagination les complète. Les narrations bibliques redeviennent présentes à l’aspect des lieux qui en ont été le théâtre.

La Judée eut-elle toujours l’aspect misérable et nu qu’on lui voit aujourd’hui ? L’administration turque est-elle responsable de l’aridité du sol, de la pauvreté des villages, de l’incurie des habitans ? On est tenté de le croire en retrouvant, en certains endroits que leur situation protège contre les incursions des bédouins nomades, tels que la vallée de Nablous ou les jardins de Jaffa, de la verdure, des arbres, des cultures et des eaux abondantes. Il faut savoir gré du moins aux conquérans arabes d’avoir laissé subsister,

  1. Eastward, by Norman Macleod, one of her majesty’s chaplains ; London 1866.