Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 65.djvu/52

Cette page a été validée par deux contributeurs.

autorité y croient ou bien a priori, parce qu’il leur semble que cela est nécessaire, logique, inévitable dans l’hypothèse d’une révélation, ou a posteriori, parce qu’ils ont cru trouver dans les livres saints un texte qui fonde cette autorité. Ils croient donc par des raisons qui ont pu leur paraître bonnes après examen ; ils sont donc des libres penseurs en renonçant pour de bonnes raisons à leur libre pensée ; seulement ils ne doivent pas condamner chez les autres le droit dont ils usent eux-mêmes, et ne point ôter l’échelle qui les a conduits où ils sont.

J’accorde que l’on peut être librement croyant, même dans une église où il y a une autorité infaillible ; mais, s’il en est ainsi, j’avoue ne pas comprendre l’objection qu’élèvent les partisans de cette église contre les confessions qui ne reconnaissent pas une pareille autorité. Les catholiques reprochent aux protestans de livrer la religion et les textes sacrés à la merci du libre examen ; ne voient-ils pas qu’eux-mêmes, quand ils argumentent contre les protestans, interprètent les textes sacrés à l’aide de la raison seule ? Ne voient-ils pas que jusqu’à ce qu’ils aient trouvé dans l’Écriture le texte qui fonde l’autorité de l’église, ils usent eux-mêmes du libre examen ? Comment la méthode qui a été bonne et légitime jusque-là devient-elle tout à coup essentiellement mauvaise ? Comment serait-il bon de se servir de la raison pour interpréter le texte dabo tibi claves…, et deviendrait-il tout à coup mauvais de s’en servir pour établir autre chose ? Sans doute si le texte a le sens que l’on dit, il faut dès lors cesser d’examiner et substituer tout à coup la croyance à la critique ; mais cela n’est vrai que pour ceux qui lui donnent ce sens, pour ceux-là seulement il serait impie de continuer à examiner. Quant aux autres, qui contestent le sens de ce texte, comment leur fermerait-on la bouche avec ce texte même, qu’ils entendent autrement ? Il n’y a qu’une chose à leur dire, c’est qu’ils se trompent ; mais on ne peut leur reprocher de se servir d’une méthode dont on se sert soi-même pour les détromper.

Je n’ignore pas les inquiétudes et les préventions qu’éveille chez beaucoup d’esprits sages le principe d’une liberté de penser illimitée. Eh quoi ! s’écriera-t-on, vous accorderez à tous les hommes, même aux plus ignorans, de tout examiner, de tout discuter, de tout soumettre au contrôle de leur infirme raison ! Quelle société pourra subsister devant ce déchaînement des intelligences révoltées ? Je pourrais éluder cette objection en disant que je me suis contenté d’établir que la liberté dépenser, prise en elle-même, est un droit, sans rechercher à qui il appartient d’user de ce droit, et s’il est à l’usage de tout le monde ; j’avoue cependant ne pas trop voir comment l’on s’y prendrait pour fixer des limites, et à quel