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lin leur a pu inspirer, qu’ils devaient prendre garde de blesser le patriotiste allemand en croyant n’atteindre que les actes répréhensibles d’une politique arbitraire, qu’ils devaient surtout se défendre de ces mouvemens d’irritation qui pourraient rallumer des antagonismes de races contraires au meilleur esprit de notre époque. Nous ne conseillerions pas à notre gouvernement d’aller lui-même au-delà d’une manifestation générale de sentimens pacifiques dans les premières communications qu’il aura sur ce sujet avec le public. Il n’y a point à faire ostentation d’aucune préférence affectée dans le système des alliances. Les alliances d’engouement et de théorie qui n’ont pas d’objet positif et déterminé n’ont jamais eu d’heureux résultats dans ce pays. On en a eu en France plusieurs exemples, celui de Louis XV par exemple, quand, avec son étroite obstination, il se lia aux intérêts de l’Autriche, et plus récemment celui de l’alliance anglaise, qui n’a jamais été plus compromise que lorsqu’on la décora de la dénomination superlative d’entente cordiale. Il n’y aurait point lieu de s’égarer aujourd’hui vers le mirage de l’alliance prussienne. Après avoir obtenu de grands succès, la Prusse tente une grande expérience. Elle nous présente un spectacle instructif et intéressant que nous devons aborder sans préjugés, et où nous pouvons trouver d’utiles enseignemens. L’Allemagne sera-t-elle identifiée à la Prusse ? Voilà l’expérience qui est en train de s’accomplir. La majorité des libéraux prussiens et allemands pensent résolument que l’initiative prussienne doit fonder l’unité germanique. Une très petite minorité au contraire, transportant sur les résultats la responsabilité des moyens employés, nie la légitimité et la vitalité de l’œuvre prussienne. Nous respectons les quelques députés prussiens qui osent encore résister au torrent du succès, et qui protestent en faveur des principes. Cependant nous nous connaissons trop en révolutions, nous autres Français, pour ignorer que les résultats légitimes d’une révolution peuvent survivre aux procédés violens, arbitraires, employés souvent par les acteurs de ces terribles scènes. Quoi qu’il en soit, les partisans de l’œuvre prussienne ne manquent point d’argumens robustes pour soutenir leur cause. On en peut juger par les pages remarquables qui nous sont adressées par M. Henri de Sybel à l’occasion des opinions développées dans ces chroniques. Nous n’avons point la pensée d’exprimer en ce moment les dissidences qui nous séparent de M. de Sybel. Tout le monde, nous en sommes sûrs, reconnaîtra que des convictions appuyées sur une pareille solidité de philosophie historique et soutenues avec un si ferme accent sont dignes de respect et doivent donner à réfléchir. Voilà bien les pensées et les sentimens que les peuples civilisés nourriraient les uns envers les autres et échangeraient entre eux le jour où ils auraient leur franche autonomie, où ils posséderaient le self-government complet, où ils ne risqueraient plus d’être détournés de leur voie par les routines de l’ancien régime monarchique. C’est parce que nous sommes sûrs que les idées et le ton de