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Guillaume Ier s’unifieront avec l’état aussi facilement et aussi vite que les conquêtes de Frédéric II.

Tout cela cependant, je le sais, ne répond pas encore à la principale objection, au reproche mille fois répété dans toute l’Europe que le ministère Bismark s’est montré depuis son premier jour l’adversaire le plus brutal des droits parlementaires et du système constitutionnel. Comment croire, ajoute-t-on, qu’il puisse sortir de là pour toute l’Allemagne une autre unité que celle d’un commun asservissement ? Lorsque le comte de Bismark mit sur le tapis la question allemande, tout le monde dit : Cela finira, comme le ministère Manteuffel a commencé, par une honteuse soumission à l’Autriche. — Quand il proposa le parlement allemand, l’opinion publique déclara qu’on n’y songeait pas sérieusement ; quand il proposa en vue de ce parlement le suffrage universel, on parla d’un ridicule tour de bateleur ; quand enfin la guerre commença sérieusement, il n’y eut qu’une voix dans le parti libéral pour dire que, si la Prusse était victorieuse, c’en était fait de la constitution et de la liberté, et que le triomphe sur l’Autriche amènerait à l’intérieur le coup d’état et le gouvernement du sabre. Cependant, comme vous le voyez, le contraire de ces jugemens et de ces prophéties s’est réalisé. C’était sérieusement qu’on parlait de réforme fédérale, de parlement allemand et de suffrage universel. Le roi, qui avant la guerre refusait obstinément toute concession à l’opposition libérale, a songé, au retour d’une suite de victoires sans exemple dans l’histoire de la Prusse, non pas au coup d’état, mais à la conciliation. Il a reconnu l’illégalité de l’état de choses antérieur, il a demandé au parlement un bill d’indemnité, il a promis la présentation du budget en temps légal. Le motif de cette conduite, qui a surpris beaucoup d’esprits et qui fait honneur à l’intelligence politique et au caractère du roi, c’est que, pour tout homme d’état prussien sans exception, la question de l’unité allemande est incontestablement une école de libéralisme. Il s’agit de la limitation ou de l’anéantissement de trente souverainetés dont chacune, aux yeux des légitimistes, est aussi inattaquable que celle des Hohenzollern. Il s’agit de trente cours ayant une autorité de droit divin et une nombreuse parenté princière, toute une suite de nobles hauts et bas dont les relations ont du poids à Berlin tout aussi bien qu’en aucun autre lieu d’Europe. Quiconque veut établir l’unité allemande ou seulement une fédération de l’Allemagne du nord ne peut faire autrement que de pratiquer à chaque pas une brèche dans toute cette parenté princière ou nobiliaire. Au point de vue féodal et légitimiste, il n’y a point de possibilité pour une telle réforme : elle ne peut être réalisée que par un homme d’état qui regarde la souveraineté non comme un bien de famille, mais comme une fonction publique, laquelle, comme toute autre, doit se régler sur les nécessités nationales. Rien donc de plus naturel que la sympathie du parti féodal et légitimiste en Prusse pour les petits souverains et la vieille constitution