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puissances de l’Europe. Le motif de ce phénomène frappant est le même qui, encore aujourd’hui, explique les résultats de la politique prussienne. L’histoire de Prusse n’est qu’en apparence une série de conquêtes dynastiques ; elle n’est autre chose en réalité que l’édification lente, normale, essentiellement défensive, de la nationalité allemande. Et ce caractère, elle continuera de le conserver. Passionnée de guerre et indomptable, elle le sera partout où il s’agira de conserver l’intégrité du sol ou de repousser des ingérences étrangères ; mais en l’absence de tout trouble extérieur elle n’aura d’aspirations que pour le travail créateur de la paix. Plus elle avancera vers l’entier accomplissement de son œuvre tout allemande, plus elle s’inspirera des tendances libérales, plus elle s’affranchira de la centralisation administrative.

Dès à présent, l’état prussien contient incomparablement plus d’élémens de self-government que l’étranger ne le saurait croire en voyant cette organisation militaire. Les villes sont administrées par des autorités issues de l’élection ; l’action du gouvernement y est limitée à un contrôle qui a principalement pour objet de protéger les contribuables contre des dépenses exagérées de la part de l’administration communale. Les fonctionnaires placés à la tête des cercles, et dont la compétence répond à celle des sous-préfets en France, sont choisis par les propriétaires fonciers de chaque cercle et proposés à la nomination du roi. Nulle affaire importante n’est par eux décidée sans l’avis d’une assemblée de notables des villes et des campagnes. Plusieurs cercles forment une province, dans laquelle une assemblée annuelle des grands et petits propriétaires fonciers a, sous sa direction immédiate, plusieurs branches de l’administration publique, et doit être consultée pour l’introduction des lois intéressant la circonscription. Si vous ajoutez qu’en aucun pays de l’Europe les fonctionnaires ecclésiastiques de toute confession ne jouissent d’une plus grande autonomie qu’en Prusse, que toutes les universités du pays sont par quelques côtés des corporations et s’administrent en partie elles-mêmes, que le roi ne nomme au grade d’officier, ni dans les troupes de ligne ni dans la landwehr, un candidat non accepté par le corps des officiers, ses futurs collègues, — vous reconnaîtrez d’innombrables germes d’une entière indépendance politique, quelque imparfaitement que la vie parlementaire se soit développée dans ce même pays. Ces germes se sont accrus à mesure que l’état a grandi. Le gouvernement a toujours su ménager le caractère particulier des provinces annexées, toute en sauvegardant la part de centralisation nécessaire. C’est un monarque aussi absolu que Frédéric II qui a conservé en grande partie et même développé dans la Silésie et la Frise orientale des institutions devenues chères aux populations. Le comte de Bismark est aujourd’hui occupé à régler sur les mêmes principes les rapports du Hanovre, de la Hesse, de Nassau avec la couronne prussienne. On doit espérer que de mêmes causes produiront de mêmes effets, et que les acquisitions de