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tout changement de la constitution fédérale. Ce n’étaient que quelques instans de répit dans une situation intolérable. Le désaccord des deux puissances éclata dès 1854 à l’occasion de la guerre de Crimée ; l’ébranlement de la guerre d’Italie de 1859 suscita le National Verein, qui commença tout aussitôt une vive agitation en faveur du nouveau parlement et de l’hégémonie prussienne. En 1861, M. de Beust, le ministre de Saxe, alla jusqu’à dire que la constitution fédérale, telle qu’elle avait subsisté jusque-là, était hors d’usage. En 1862, l’empereur François-Joseph alla plus loin, en déclarant devant la réunion de princes qui siégeait à Francfort que c’était le chaos. Malheureusement les offres étaient de telle nature que le ministre de Bade, M. de Roggenbach, dit officiellement que cela s’appelait « donner à la nation une pierre au lieu de pain. » Une réunion des députés allemands, aussi bien que le ministre de Prusse, M. de Bismark, déclinèrent en même temps d’une manière décisive le projet de réforme impériale. Lorsque dans les mêmes années la Prusse offrit de son côté une organisation meilleure de l’armée fédérale avec la convocation d’un parlement, le dédain recommença comme en 1850 à Vienne et à Francfort, à Munich et à Dresde ; dès l’année 1863, l’irritation était à son comble, et le débat qui survint à propos du Slesvig-Holstein fut non pas la cause, mais l’occasion fortuite de l’explosion qui suivit.

Vous voyez que pendant cinquante années la question allemande n’a pas cessé un moment de s’affirmer. Lorsqu’aujourd’hui on parle d’arbitraire et d’ambition dans la manière de traiter cette grande affaire, l’histoire répond que l’arbitraire et l’ambition datent de 1815, et ont alors imposé à l’Allemagne un état de choses impossible ; la destruction de cet état de choses n’a été l’œuvre ni du hasard ni de convoitises individuelles ; c’est un résultat de nécessités nationales. L’intérêt bien entendu des nations voisines de l’Allemagne et de l’Europe entière est de voir disparaître un tel foyer de perpétuel malaise et de révolution.

Ce n’est pas vous, monsieur, qui dédaignez et comptez pour rien ces vœux de l’Allemagne. Après avoir exprimé, il est vrai, quelques doutes, vous acceptez finalement comme conciliable avec les intérêts de la France l’achèvement de l’unité allemande, mais cela sous une expresse condition. « Nous voulons croire, dites-vous, à la modération qu’on prête à la Prusse ; nous estimons le peuple prussien, et nous assisterons sans chagrin à sa fortune, s’il consolide par une franche liberté intérieure les conquêtes qu’il doit aux armes ; mais si son succès n’était que le succès d’une dynastie et d’une cour, si ses ressources accrues ne devaient être que l’instrument d’un pouvoir arbitraire, on serait bien obligé de se tenir en défiance et en éveil. » Rien de plus juste que votre réserve ; tout dépend de cette question, si la nouvelle Allemagne veut s’abandonner à l’ambition des armes ou se livrer aux travaux de la paix, si elle est le commode instrument d’un souverain qui veut conquérir ou bien le sol fécond de la liberté. Cependant vous avez, ce me semble, répondu vous-même à cette