Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 65.djvu/500

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

compris Bourgogne et Lorraine, à son gendre Maximilien d’Autriche, et qu’à celui-ci Charles-Quint ait succédé avec toute cette puissance : si vous vous représentez la situation faite à François Ier par de telles suppositions, vous avez à peu près l’image de la situation de la Prusse dans la confédération allemande présidée par l’Autriche. La nation française aurait-elle supporté pendant cinquante années de telles conditions ?

Eh bien ! la nation allemande a eu cette patience, peut-être parce qu’elle a le sang plus calme que la nation française, mais surtout, il faut le dire, parce que malheureusement elle était accoutumée depuis des siècles à un état de démembrement et d’anarchie, parce que la longue existence de ces petites cours germaniques avait développé une multitude d’intérêts égoïstes dans le sens du vieux système. — Quand la nation allemande demandait la liberté de la presse, on lui déclarait que l’Autriche ne pourrait pas la supporter, et en bons confédérés que nous étions, il nous fallait y renoncer nous-mêmes. S’agissait-il d’une réforme de l’armée fédérale (de cette même armée fédérale qui a récemment cueilli les tristes lauriers du prince Charles de Bavière et du prince Alexandre de Hesse), on opposait la maxime que dans aucun cas la réforme ne devait porter atteinte à la souveraineté des trente roitelets, car l’Autriche n’avait-elle pas besoin, pour son influence, que ces souverains-là restassent indépendans ? La nation saluait-elle avec enthousiasme les premiers commencemens d’une flotte allemande dans la Baltique et dans la Mer du Nord, l’Autriche et la diète se hâtaient de faire vendre à l’encan les bâtimens de cette jeune marine qui n’avait pas deux années de vie, mais dont le développement aurait pu profiter en quelque chose à la Prusse, cette rivale détestée. Quand les chemins de fer apportèrent aux relations européennes une extension imprévue, — sur tous les points de l’Allemagne les frontières des petits états ou les caprices des petits princes créèrent d’innombrables obstacles. Ici on voulait que la voie eût une largeur différente de celle des voisins, et on rendait ainsi le transit des wagons impossible ; là il fallait qu’une voie ferrée fît un long détour pour ne pas couper le parc du château princier, ou bien, plusieurs états construisant en commun, chacun d’eux rejetait le papier-monnaie de l’autre ; certains petits princes refusaient, eux, tout consentement, et il fallait que la voie ferrée s’arrêtât à leur frontière. Pendant près d’un demi-siècle, Nassau et Darmstadt imposèrent la navigation du Rhin, Mecklenbourg et Hanovre celle de l’Elbe ; toutes les réclamations de la Prusse, de la France, de la Hollande, restèrent inutiles : la constitution fédérale ne donnait aucun moyen d’imposer des bornes à l’avidité fiscale de ces petits états. La France, pendant la nuit du 4 août 1789, s’est débarrassée de ses douanes intérieures ; mais chez nous l’Autriche, sur ce terrain comme sur les autres, a défendu la cause du morcellement et de l’isolement et il a fallu, pour atteindre le but, que la Prusse luttât sans interruption pendant dix ans. Le traité de commerce avec la France a été retardé de plus de deux années, au grand détriment de notre population industrielle et