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au contraire, qui sont presque tous des Morlaques de Dalmatie, ont encore leurs coutumes nationales, ils ont souvenance d’un passé. On voit aisément que ce sont les derniers immigrés en Istrie… »

Ainsi des Italiens, des Slaves, des Allemands, tout cela, si l’on veut, soumis à l’influence énergique d’une assimilation que les événemens de ces dernières années ont rendue plus active, voilà le fonds de ces provinces. Si je voulais classer ces divers élémens, je dirais que l’Allemand règne par droit de conquête, que l’Italien domine par la langue, par les traditions, par les mœurs comme par le nombre, et que le Slave est serré entre les deux. C’est cette composition mixte qui, partout où elle existe, a toujours paralysé les revendications de nationalité. C’est l’éternelle force de l’Autriche dans ses rapports avec les différentes races de l’empire. En réalité, la sérieuse, la grande question, c’est Trieste et le littoral de l’Adriatique, Trieste, la ville italienne, allemande, grecque, levantine, siège d’un commerce qui lui donne un caractère cosmopolite.

Une chose à remarquer d’abord, c’est que malgré ce caractère cosmopolite, qui est assez récent et qu’elle doit aux relations commerciales dont elle est devenue le centre, Trieste est restée assez italienne de langue et de mœurs, elle a par elle-même une histoire assez distincte, pour n’avoir pu être introduite que par un étrange abus dans la confédération germanique. Elle n’est allemande ni par son passé, ni par son esprit, ni par ses aspirations. Cela dit, quand Trieste ne ressentirait pas autant que d’autres ces frémissemens douloureux d’une ville impatiente de la domination étrangère, quand elle céderait un peu moins que d’autres à l’attraction de la nationalité italienne dont elle est un appendice assez indépendant, quand elle serait à demi résignée à une condition qui n’éveille pas pour elle des souvenirs aussi irritans que pour d’autres et où elle a trouvé la prospérité matérielle, — en quoi faudrait-il s’en étonner ? C’est jusqu’à un certain point le résultat de son histoire, qui n’a été après tout qu’un long et désastreux duel avec Venise. La sérénissime république, au temps de ses grandeurs, n’était pas tendre pour cette petite ville, qui ne comptait pas alors plus de cinq ou six mille habitans, et qui lui échappait par sa forte vie municipale ; elle surveillait d’un œil jaloux ce petit port qu’elle voyait naître sur l’autre rive du golfe de l’Adriatique, et dont elle semblait pressentir les destinées. Qu’on se rappelle qu’à un certain moment du XIVe siècle, dans un espace de quarante-trois ans, Venise assaillit et occupa sept fois Trieste, et plus d’une fois dans les siècles suivans elle la traita de même. Elle lui imposait un tribut humiliant ; elle lui interdisait de former des salines, de prendre du sel dans la mer, sous prétexte que la république vénitienne était souveraine de