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est certain pour parler sérieusement, c’est qu’ici la question se complique d’une multitude d’élémens qui n’ont pas le même degré de force à Trente.

Ce n’est pas que les considérations dont s’arme l’Italie dans la revendication de cette partie orientale de son territoire naturel soient dénuées de valeur, que les Alpes carniques ou juliennes, avec leurs passages entre des mains étrangères, aient moins d’importance que les Alpes rhétiques, que l’Isonzo adopté déjà une fois comme limite de l’ancien royaume d’Italie soit une frontière très rationnelle et très solide, surtout si, comme on en a fait la menace, on se mettait à construire au-delà des forteresses nouvelles un nouveau quadrilatère. Il est vrai que les Alpes sont incontestablement la frontière naturelle, que les provinces orientales se rattachent ethnographiquement au groupe latin, que l’Istrie a été longtemps italienne politiquement, puisqu’elle était à Venise, et qu’elle est pour l’Autriche une possession récente datant de Campo-Formio, que c’est une prétention étrange de la part de l’Allemagne de vouloir camper à Aquilea sous prétexte que le maître de cette partie du littoral de l’Adriatique peut menacer l’Allemagne. Il est certain aussi que depuis un demi-siècle, dans ces derniers temps surtout, l’esprit italien a fait de singuliers progrès dans ces pays, que l’attraction d’une nationalité nouvelle en travail de reconstitution s’est fait sentir, que la seule littérature de ces contrées est italienne de langue et d’inspiration ; mais enfin ce qui apparaît aussi assez distinctement, c’est que la civilisation morale et matérielle de ces provinces orientales est plus compliquée, c’est que les populations sont arrivées à former un mélange assez difficile à définir, où l’Italien domine encore peut-être, mais non sans être neutralisé par d’autres élémens divers. Je n’en veux pour preuve que ce que dit l’auteur d’une brochure sur Trieste et l’Istrie : « L’Istrie compte dans ses limites naturelles, qui comprennent la ville populeuse de Trieste, 290,000 habitans, dont 170,000 Italiens, environ 15,000 Slaves, italianisés et enfin 110,000 Slaves, les uns encore à l’état primitif, les autres subissant déjà l’influence de l’assimilation. Les quelques milliers d’Allemands qui complètent le chiffre total de la population sont dus au cosmopolitisme du commerce triestin. Sans s’arrêter aux subdivisions inférieures, on voit se partager les Slaves en deux branches principales : les Slovènes et les Serbes. A peu près égaux en nombre, ils diffèrent essentiellement par le caractère physionomique et moral, par la langue, par les traditions et par les mœurs. Les Slovènes sont les plus anciens, les premiers venus dans nos provinces ; on le reconnaît à la corruption de leur langue et à l’altération de leurs coutumes. Les Serbes