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imagination, qui, dans ses désirs de grandeur pour sa patrie, n’eut jamais, je le crains, que la fumée de l’ambition dont M. de Bismark a eu le feu. Ce que je veux montrer, c’est cette confusion croissante où l’Allemagne a glissé en ce qui touche l’Italie et où la Prusse elle-même a joué son rôle. La Prusse effectivement n’a point été la dernière à suivre le mouvement. Plus d’une fois elle a garanti à l’Autriche ses possessions italiennes, et c’est un ministre des affaires étrangères de Berlin, M. de Schleinitz, qui, en formulant le projet d’une intervention un peu tardive, écrivait le 24 juin 1859, le jour même de la bataille de Solferino : « Appuyés sur une forte concentration militaire, nous avons l’intention, en nous efforçant de maintenir les possessions autrichiennes en Italie, de mettre en avant au moment voulu la question de la paix et d’offrir notre médiation. » Au fond, la pensée de la Prusse comme de l’Allemagne, c’était toujours cet intérêt germanique à sauvegarder au-delà des Alpes, et il n’y a pas si longtemps que ce thème était développé à Berlin dans le même sens où il aurait pu l’être à Vienne.

Je ne veux pas dire, en présence de la bataille de Sadowa, — cet épilogue un peu imprévu du projet d’intervention de 1859 et des garanties données encore pendant la guerre de Danemark, — que l’Autriche ait été comblée dans tous ses vœux, qu’elle ait absolument obtenu tout ce qu’elle attendait de cette puissante arrière-garde qu’elle s’était ménagée en Allemagne, et qu’elle ait trouvé dans la Prusse une bien efficace coopératrice pour le maintien de ses possessions en Italie, notamment pour la conservation de cette Vénétie sans laquelle, disait-on, l’intérêt germanique ne pouvait vivre. Ce qui est évident, c’est que cette identification de l’intérêt allemand et de l’intérêt autrichien sous le prétexte d’une frontière fédérale arbitraire a pesé longtemps sur la politique européenne, sur toutes les combinaisons d’où aurait pu sortir l’indépendance de l’Italie. Lorsque le roi Charles-Albert combattait en 1848 sur le Mincio et sur l’Adige et que du Tyrol on lui demandait secours, quelle était la grande préoccupation qui l’assiégeait, qui contribuait à gêner tous ses mouvemens ? C’était d’éviter un conflit avec la confédération, de ne pas toucher à la frontière allemande, par laquelle les renforts autrichiens arrivaient cependant sur lui. Lorsque dix ans plus tard, en 1859, l’armée française suspendait brusquement sa marche au lendemain de Solferino, par quel motif s’arrêtait-elle ? On l’a dit assez clairement, pour ne pas engager la lutte avec la confédération germanique. On avait pris les soins les plus scrupuleux pour respecter tout ce qui était territoire fédéral, au risque d’affaiblir ses moyens d’action et de restreindre soi-même le nombre des points