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Peinte par Cimabue pour l’église de Santa-Maria Novella[1], comment ne pas reconnaître ce qu’il y a, dans la manière du jeune maître, de facilité, de hardiesse, de franche originalité ? Que sera-ce si, au lieu d’avoir égard seulement aux qualités de la pratique et de la touche, on apprécie au point de vue de l’ordonnance et des intentions morales les différences que comportent les immenses progrès qu’attestent les plus récens de ces travaux !

Comme les autres tableaux du même genre qu’a laissés Cimabue, la Madone de Santa-Maria-Novella se recommande par une certaine sérénité dans l’expression, par un commencement de souplesse dans l’agencement des lignes, déjà bien préférables à la physionomie rébarbative et à l’attitude raide des Vierges byzantines. En outre Cimabue cherchait et plus d’une fois il avait réussi à concilier une imitation plus ingénue de la réalité avec une étude plus attentive du style antique, et l’on peut citer, comme un témoignage remarquable de ses efforts en ce sens, la draperie recouvrant les genoux de la Vierge dans le grand tableau que nous avons au Louvre. Toutefois, soit réserve volontaire, soit insuffisance de l’imagination, les innovations introduites par lui ne dépassent guère le cercle des perfectionnemens purement pittoresques. Elles consistent surtout dans l’habileté avec laquelle les thèmes ordinaires sont variés et les modes d’expression améliorés ou rajeunis. Quant au fond, quant au choix des sujets et à l’invention proprement dite, il n’y a rien encore d’absolument changé, rien qui soit venu anéantir, réduire même l’empire des traditions accoutumées. Lorsque Giotto au contraire s’empare du champ de l’art, c’est pour en reculer dès les premiers jours les limites et pour y implanter une doctrine toute nouvelle. Avec Giotto, tout s’agrandit, se développe, se régénère. La nature, dont on osait à peine simuler les aspects strictement immobiles, est étudiée et reproduite jusque dans les violences du mouvement et du geste. Pour la première vois, d’autres personnages que les hôtes du ciel interviennent dans la composition d’une scène religieuse, et en généralisent la signification, soit par la vraisemblance extérieure des types, soit par l’élévation ou la force des sentimens que résument ces figures sans nom historique, sans consécration de sainteté. Pour la première fois, l’image toute humaine des vertus ou des passions, des grandeurs de l’âme ou de ses faiblesses, se mêle à la représentation des choses surnaturelles ; pour la première fois enfin, la recherche des choses naturelles ; pour la première fois enfin, la recherche du beau pittoresque se combine

  1. Ce tableau, qui occupe encore dans l’église la place à laquelle il avait été primitivement destiné, est celui que le peuple florentin avait accueilli en. 1267 comme un miracle de la peinture. Il devait en effet paraître tel à des regards condamnés jusqu’alors à ne pressentir l’art que dans les spécimens de la manière byzantine.