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Alimente l’art moderne avaient recouvré leur vertu et n’inspiraient plus que la confiance. L’art renaissait en un mot depuis le jour où, en face de l’antiquité et de la nature animée, il avait appris à les contrôler l’une par l’autre, à rectifier la réalité sans la fausser, et à l’élever sans lui faire perdre terre.

Cependant le succès qui avait récompensé tout d’abord les efforts de Nicolas de Pise ne pouvait être obtenu, dans les tentatives purement pittoresques, ni aussi complètement, ni aussi vite. Ici en effet les termes de comparaison faisaient défauts. La peinture antique ayant partout disparu, les peintres italiens du XIIIe siècle n’avaient pas comme les sculpteurs contemporains, la facilité d’interpréter leurs modèles sans changer les conditions matérielles de l’exécution et pour ainsi dire la langue même dans laquelle ces modèles avaient été produits. Il leur fallait, en s’inspirant de la sculpture grecque, en approprier les formes aux exigences de procédés tout différens et rechercher, en même temps que l’imitation d’un style, les moyens propres à donner aux choses la vraisemblance et le relief. De là sans doute les indécisions du dessin et du modelé dans les tableaux postérieurs aux premiers travaux de Nicolas de Pise, de là aussi cette insuffisance ou cette absence du clair-obscur qui laisse aux œuvres de Cimabue lui-même l’aspect de l’inachèvement et une apparence presque diaphane. Rapprochées des bas-reliefs pisans, mes Vierges peintes par le maître florentin semblent, quant aux caractères de la pratique, appartenir à une époque moins avancée. Quelque préférables qu’elles soient aux tableaux du même siècle, elles prouvent par la comparaison avec d’autres produits que le pinceau le plus habile ne possédait pas encore l’expérience et la certitude qui, depuis plusieurs années, ne manquaient déjà plus au ciseau.

Quoi de plus ordinaire d’ailleurs dans l’histoire des diverses écoles que ces timidités et ces lenteurs de la peinture, en regard des progrès rapides et des hardiesses de la statuaire ? Les peintres de l’antiquité grecque en étaient encore à tracer des figures monochromes, à cerner d’un inexorable contour, une teinte plate pour indiquer le mouvement extérieur des lignes ou le dessin intérieur du corps humain, lorsque les sculpteurs du temple d’Égine acheminaient déjà leur art vers cette expression de beauté et de vérité suprême à laquelle il allait achever d’atteindre au temps de Phidias. Chez nous, les admirables statues qui ornent les porches latéraux de la cathédrale de Chartres ou la façade de la cathédrale de Reims sont du même âge que les figures, relativement barbares, peintes sur les verrières de ces deux édifices. Partout au XIIIe siècle l’habileté des maîtres tailleurs de pierre devance celle des maîtres