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montrer dans les hôtes du ciel les complices de nos propres rancunes ou de nos violences. Quelle différence entre cet art atrabilaire et l’inspiration sereine dont toutes les peintures des catacombes portent l’empreinte ! Et cependant les chrétiens qui dédiaient celles-ci à la mémoire des martyrs étaient à leur tour victime des mêmes iniquités et peut-être promis aux mêmes bourreaux. Quoi de plus naturel pour eux en apparence que de pressentir devant Dieu les châtimens mérités par leurs persécuteurs, de recommander le mal à ses colères, de chercher dans les représentations terribles du juge et des patrons célestes une amère consolation ou la sombre joie d’une vengeance ? Sur les murs des catacombes, nulle trace de ces préoccupations haineuses, de ces représailles à l’adresse des meurtriers ou des tyrans : rien que des images de pardon, d’espérance et d’amour. En se réfugiant sous le sol qui porte les oppresseurs de la pensée chrétienne, l’art s’abrite aussi contre les souvenirs et les passions du monde. Il semble qu’il oublie jusqu’aux périls de la veille ou aux souffrances du lendemain pour ne se rappeler que les miséricordes divines et en célébrer les bienfaits ou les promesses dans un langage tout désintéressé des événemens terrestres, tout plein déjà des félicités de la vie future et du pressentiment de l’infini.

L’art byzantin au contraire a, dans le fond comme dans la forme, quelque chose de dominateur et d’intraitable, d’étroitement limité, puisqu’il ne sait traduire qu’un seul ordre de sentimens, puisque, au lieu d’encourager les regards et les cœurs, il ne réussit qu’à les intimider. Que les mosaïques italiennes des bas-siècles intéressent la science historique ou la curiosité ; que quelques-unes même, comme celles qui décorent les églises de San-Vitale et de Sant’-Apollinario-in-Classe, à Ravenne, fournissent aux artistes un peu plus que des documens sur les costumes des Romains et des barbares au temps de Justinien ou au temps de Théodoric, — l’art ayant produit cet ensemble de travaux à la symétrie farouche, à la majesté sinistre et uniforme, n’en demeure pas moins en dehors de toutes les conditions qui caractérisent un progrès. A partir du Ve siècle, il n’y a de progrès que dans la décadence, ou plutôt, si des données pittoresques restent à peu près immuables depuis cette époque, la manière de les mettre en œuvre empire à mesure que les générations se succèdent pour aboutir, vers le milieu du IXe siècle, au style ultra-barbare de la mosaïque de Saint-Marc à Rome, ou deux cents ans plus tard à de pédantesques platitudes telles que les miniature de l’Hippocrate et de quelques autres manuscrits conservés à Florence dans la bibliothèque Laurentienne.

En citant ce fâcheux Hippocrate comme un spécimen de ce