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quel surcroît de franchise des procédés aussi compliqués ne servent-ils pas à traduire publiquement, à transporter sur les murs des églises les intentions et les pensées figurées jusqu’alors dans le mystère des catacombes ! Le style de l’antiquité rajeuni par le sentiment chrétien, l’ampleur et la majesté des formes alliées à une expression morale pénétrante, voilà ce qu’on trouve dans les plus anciennes mosaïques romaines et particulièrement dans la belle mosaïque du IVe siècle qui orne l’église de Sainte-Pudentienne : œuvre aujourd’hui célèbre, naguère encore bien peu connue et que, même avant MM. Crowe et Cavalcaselle, des écrivains français avaient eu le mérite de venger de l’injuste oubli où elle était tombée.

Poussin, dit-on, admirait beaucoup la mosaïque de Sainte-Pudentienne. Rien de plus vraisemblable. L’imposante distribution des lignes, la beauté grave de la figure du Christ assis sur son trône de gloire et ayant à ses côtés saint Pierre et saint Paul, la grandeur du geste que font les deux sœurs, sainte Pudentienne et sainte Praxède, pour couronner les deux apôtres, la symétrie sans inertie avec laquelle les autres personnages sont groupés, tout, jusqu’à ce caractère de fermeté voisin de la rudesse empreint sur quelques visages, correspondait trop bien aux instincts du maître ou aux habitudes de son mâle génie pour qu’une pareille prédilection ait de quoi nous étonner. Le moyen toutefois de supposer que Poussin tînt en aussi haute estime les mosaïques postérieures d’un siècle à l’époque de Constantin, celles par exemple que l’on voit dans la nef de Sainte-Marie-Majeure et à plus forte raison les nombreux travaux du même genre qui, du VIe siècle au XIIIe, revêtent les absides des basiliques ? Quelle que fût, en matière de peinture religieuse, sa légitime aversion pour les types doucereux choisis par certains artistes de son temps, — pour ce qu’il appelle dans une de ses lettres « les apparences d’un torticolis ou d’un père Douillet, » Poussin ne devait guère mieux s’accommoder de ces âpres dehors donnés aux personnages sacrés par les mosaïstes du bas-empire, de ces décorations farouches où l’expression de la sainteté, de la majesté divine n’est plus que celle d’une intraitable dureté. Que sont devenues ces virginales figures d’adolescens, — le Bon Pasteur, Jonas, les Apôtres, — que les chrétiens traçaient autrefois sur les voûtes des catacombes, comme ils se représentaient eux-mêmes, dans la première fleur de l’âge, exprimant ainsi la régénération de l’âme par la jeunesse des traits et du corps ? Que reste-t-il des souvenirs de l’antiquité vivifiés par la foi qui, dans les mosaïques primitives, disciplinaient le style et le préservaient si bien des exagérations et de l’emphase ? Toute velléité de progrès s’est anéantie, tout s’est immobilisé dans la routine. La nuit se fait