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des personnages de la fable, pour célébrer la défaite du paganisme et l’avènement du Sauveur. Qu’importe après tout, si une inspiration originale et sincère se fait jour sous ces dehors d’emprunt ou sous ces formes d’expression incomplètes, si, malgré l’imperfection des moyens employés, on discerne ici des intentions morales d’un ordre supérieur, un ensemble de sentimens et d’ordre vivifiant l’art, épuisé ou immobilisé dans le matérialisme, en renouvelant, les sources, en émancipant l’esprit ? Les fresques que recèle Rome souterraine méritent d’être comptées parmi les monumens les plus intéressans de la peinture dans tous les temps et dans tous les pays. Pour ne parler que de la peinture italienne, elles marquent dans l’histoire de celle-ci l’ère de l’affranchissement ou plutôt la période des premiers essais d’indépendance compliqués d’un attachement involontaire à certaines coutumes du passé. Elles soutien un mot, un souvenir, une promesse à peu près comme les écrits des pères de l’église, au milieu du conflit de deux civilisations, en reflètent la double physionomie, en résument à la fois les influences, et traduisent les espérances du monde qui commence dans la langue même du monde qui vient de finir.

Nous n’avons pas à insister sur l’importance archéologique des documens fournis par les catacombes. Ce que nous voulons rappeler seulement, c’est le caractère particulier de certains progrès accomplis dans l’ombre de ces nécropoles ; c’est la profondeur et la douceur d’expression qui donnent à ces chœurs d’hommes et de femmes en prière une signification intime, imprévue, bien décidément différente de la majesté ou des élégances accoutumées de l’art antique. Dans les peintures des catacombes l’expression de la vie morale prédomine : elle prévaut si bien sur la forme matérielle que celle-ci semble se dérober et comme s’évaporer sous le rayonnement de ce foyer intérieur. Un penseur délicat, Joubert, a dit en parlant de lui-même qu’il avait aux yeux de ses amis « l’air d’une âme qui a rencontré par hasard un corps et qui s’en tire comme elle peut. » Et Joubert a dit encore : « tout œil est beau quand il regarde le ciel. » Appliqués aux figures tracées par les premiers chrétiens, ces deux mots en définiraient avec justesse l’aspect et les caractères. La beauté physique en effet, la force, la santé même sont à peu près absentes de ces images non pas grêles et maladives à la façon de certains types du moyen âge, mais inconsistantes dans l’extrême simplicité de leurs apparences comme des ébauches où le pinceau ne se serait préoccupé encore ni du relief, ni du modelé. Les contours enserrant tant bien que mal des teintes presque plates et assez souvent débordés par elles, quelques lignes esquissées du bout du pinceau et indiquant soit les doigts des main et des pieds,