Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 65.djvu/413

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

instant, avec l’aide du fidèle Niû, ceux que nous a transmis Mgr Pallegoix sous la dictée d’un talapoin érudit, dans un français dont le tour naïf semble souvent appartenir aux traductions du bon Amyot. Je ne saurais mieux faire que d’en reproduire un échantillon, il s’agit de l’entretien d’un roi et d’un page. « L’ordre du roi, miséricordieux fut sur les cheveux et sur la tête de M. Saraphet Phakdi, disant : Monsieur Saraphet, équipe-moi un navire et charge-le tout à fait. — M. Saraphet reçût l’ordre en disant : Mon auguste seigneur, je reçois vos ordres sur mes cheveux et sur ma tête. — Il adora, sortit en rampant, et s’en fut équiper le navire ; après l’avoir chargé, il revint à la cour, adora et dit : Je demande par la puissance de la poussière de vos pieds qui couvrent ma tête, l’esclave du seigneur a chargé le navire. — Le roi lui demanda : De quoi l’as-tu chargé ? — Mon auguste seigneur, je reçois vos ordres, je l’ai chargé de 300 quintaux de cardamome[1]. — N’as-tu chargé que cela ? — Mon auguste seigneur, je reçois vos ordres ; — Qu’as-tu mis de plus ? — Auguste seigneur, moi cheveu de votre tête, je l’ai chargé de 30,000 quintaux de poivre. — As-tu mis du bois de sapan (sorte de campêche). — Mon auguste seigneur, j’en ai mis. — Quand mettra-t-il à la voile ? — Mon auguste seigneur, je reçois vos ordres ; il partira le treizième jour de la lune. — Règle et inspecte tout comme il faut. — Mon auguste seigneur, je reçois vos ordres. » Voici maintenant un dialogue de deux femmes. « Il y avait une fois deux marchandes : l’une s’appelait Chëm, l’autre Chan. Mme Chëm était dans le marché de la ville, Mme Chan dans le marché sur le fleuve ; de grand matin, Mme Chëm descendit dans sa barque, alla au marché qui se tient sur le fleuve, vit Mme Chan qui vendait des bananes et des attes (fruit du corossolier), et elle les examina. Mme Chan, sachant certainement qu’elle voulait acheter des bananes et des attes, lui adressa ces paroles flatteuses et douces : O ma mère ! mère qui viens en conduisant cette barque avec les rames ; j’invite ma mère à s’arrêter ici pour acheter une partie de mes bananes et de mes attes ! O madame, mère bienfaitrice, mes fruits sont beaux et invitent à les manger, ô madame ! — La marchande Chëm s’arrête et demande le prix. — Or je dis : Les bananes odorantes de ma mère ; combien pour un fuang ? — Mes bananes, quarante pour un fuang, ô madame. — Les attes de ma mère, combien pour un fuang, ô madame ? — Trente pour un fuang, madame. — Si ma mère n’a pas ce prix, vendra-t-elle ou non ? — Comme il plaît à ma mère ; marchandez, madame. — Je dirai une seule parole, madame. — Que ma mère dise cinq paroles, comme il lui plaira. — Mais bientôt la négociation dégénère en querelle : le compte est

  1. Plante qui donne des fruits trilobés d’une saveur aromatique et piquante.