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On peut affirmer sans crainte que, même aux plus ferventes époques du moyen âge, jamais les annales des couvens catholiques n’ont eu à enregistrer un triomphe aussi complet, aussi universellement accepté que celui de la vie monastique à Siam en plein XIXe siècle. La preuve en est dans l’exorbitante charge annuelle que supporte volontairement la population pour l’entretien des pagodes et des bonzes qui les habitent, Je ne parle pas de la valeur même des pagodes, qui doit pourtant être d’au moins 50 millions de fr. pour Bangkok seulement, en n’en supposant que cent dans l’enceinte de la ville ; mais l’entretien de ces 10,000 bonzes, évalué à 500 fr. par tête, s’élèvera par an à 5 millions de francs, auxquels on peut ajouter une somme égale, au nom de l’économie politique, pour tenir compte de la perte de travail qu’entraîne leur oisiveté. C’est un total de 10 millions. Or la population de Bangkok, d’environ 400,000 âmes, est à peu près le dixième de celle du royaume, qui s’infligerait ainsi, de son propre mouvement et sans la moindre contrainte, une contribution annuelle de 100 millions de francs pour le seul profit du clergé, et cela tandis que le trésor royal, d’après l’évêque Pallegoix, ne perçoit en tout, pour subvenir aux charges de l’état, qu’un revenu de 81 millions de francs !

Par quel prestige, après avoir été vaincu dans l’Inde, qui fut son berceau, le bouddhisme en est-il venu à enrôler de la sorte sous sa bannière plus de fidèles qu’aucun autre culte, c’est-à-dire 400 millions d’âmes, formant les deux cinquièmes de la population de notre globe ? Quelles sont les causes de ce succès unique dans l’histoire religieuse du monde ? L’une des principales est sans contredit la persécution dont le bouddhisme fut l’objet de la part des sectateurs de Bramah, puisque, après être resté à peu près stationnaire pendant les premiers siècles qui suivirent la mort de Çakya-Mouni, il ne se répandit au dehors qu’à la suite de cette lutte, à Ceylan d’abord au IIe siècle de notre ère, puis à Java, puis à Siam et en Birmanie par le Cambodge et le Laos. Introduit de même en Mongolie, au Thibet et au japon, il atteignait en Chine son plein développement au XIIIe siècle, avec l’avènement de la dynastie mongole. Enfin à Siam aujourd’hui, sauf quelques milliers, je pourrais presque dire sauf quelques centaines de chrétiens et de mahométans, tout le monde professe le culte de Samana Khodom. Une autre cause de succès a été l’affinité notoire du bouddhisme avec le gouvernement monarchique, si bien approprié aux races de l’extrême Orient qu’aucune autre forme ne leur semble applicable. L’obéissance au roi y est érigée en principe, et aucun des livres sacrés ne laisse percer les tendances théocratiques dont n’est pas exempt le brahmanisme ; aussi l’église et l’état se prêtent-ils constamment un